Isabelle Le Minh
This is the artist, 2005-2008
Diaporama sur DVD, 43’30 (2005-2008)
La photographie étant désormais intégrée dans nos pratiques culturelles, nous avons tendance à oublier à quel point la pose photographique obéit à des codes de représentation. Ceux-ci sont apparus au milieu du XIXe siècle au moment de la grande vogue du portrait photographique sous la forme du portrait carte de visite. Dans les studios de prise de vues, on a vu alors apparaître de nombreux accessoires et même des répertoires de poses destinés à aider le Bourgeois à trouver une attitude conforme à son nouveau statut social. Forts de cet héritage, nous n’avons aujourd’hui plus besoin de répertoires et nous sommes tous capables de prendre intuitivement la juste pose en fonction du contexte où nous nous trouvons et du sens que nous voulons donner à une image, la plupart du temps sans même en avoir conscience.
C’est en consultant par hasard une monographie de Fabrizio Plessi, puis un livre consacré aux écrits de Gerhardt Richter que j’ai eu l’idée de ce travail ; j’ai en effet été frappée par la similitude des images choisies par ces deux artistes lorsqu’ils sont “en représentation“. Partant donc de l’hypothèse qu’il y aurait des manières de poser ou d’être pris en photographie propres aux artistes, j’ai consulté des milliers de monographies et de catalogues d’exposition disponibles dans plusieurs bibliothèques spécialisées en art, repéré des types de poses particulières et des accessoires récurrents. J’ai retenu une sélection de plus d’un millier de clichés que j’ai ensuite classés en différentes catégories. Ce travail m’a permis de constater une réelle évolution dans la manière dont les artistes sont représentés tout au long du XXe siècle ainsi que dans la façon dont les auteurs des photographies sont cités. Mais très vite, ce classement taxinomique a pris une tournure ironique, dans la mesure où ces photographies relèvent justement du cliché !
Compilées sous forme du diaporama This is the artist, les images s’enchaînent en fonction d’analogies visuelles, convoquent parfois des éléments de narration et invitent le spectateur à toutes sortes d’interprétations ; si les thèmes de l’enfance, du double, du masque ou du sommeil sont récurrents, c’est sans doute qu’il existe des liens étroits entre l’art et la psychanalyse (ce que souligne par ailleurs la présence marquée de symboles comme le miroir ou l’échelle). Si l’artiste se confond visuellement avec son oeuvre, c’est aussi probablement parce que tout le monde attend de lui qu’il s’identifie totalement avec son travail. Mais d’autres constats sont plus surprenants : par exemple aucun artiste ne pose avec 13 amis ! Et lorsqu’un peintre se tient à côté de ses toiles abstraites, il semble qu’une règle mystérieuse exige qu’il y ait d’autant plus de tableaux sur la photo que sa peinture est bigarrée… De manière plus anecdotique, on remarque que les artistes préfèrent les brunes, aiment bien les chats, que Christo adore montrer du doigt, que Maria Lassnig adopte les poses les plus surprenantes et que Fabrizio Plessi ne peut s’empêcher d’imiter Gerhard Richter.