La matière des photographies de Marcel Bascoulard (1913-1978) est constituée d’éléments dissociés: des éléments fictifs, des faits de désirs, des éléments actifs faits de scènes. Immobiles, complexes, les éléments formels se rabattent pour créer une histoire pas comme les autres. Le perpétuel glissement entre le visage et le corps de Bascoulard sur les petits tirages photographiques nous met face à une expérience volontaire, étonnante, intense et aigüe. Comme si son corps franchissait un seuil en devenant une femme. (…)
Ce trouble identitaire lui offre la nécessité de s’inventer et le classe dans la catégorie hors classements, celui de l’art brut. Si ses dessins de la ville, de cartes et des locomotives qu’il fétichise, se montrent très ordonnés et très précis, ils sont vides de personnages. Le seul personnage qui existe est relayé du côté photographique dans des autoportraits travestis. Il se trouve beau en femme. Il dessine les patrons de ses robes, il a des couturières attitrées pour les réaliser et une photographe qui lui prête des appareils, le photographie aussi dans des postures calculées dans des décombres.
Il ne s’agit pas de clichés volés. Les pauses sont réfléchies; dans des endroits insalubres, des ruelles, des arrière-cours et échangées contre des dessins. Il fixe l’appareil photographique. Son regard est direct. Ses gestes reprennent les codes féminins: comment elle porte un sac à main (…). Il est souvent photographié avec un miroir cassé entre les doigts. Les ruines, les restes d’un spéculaire fétichisé à la main. (…)
Extrait du texte de Diane Watteau, « Bascoulard, Molinier, Journiac. La traversée des genres », p108-112.