Lorsque récemment, dans une même conversation, les noms de Pierre Tal Coat et Toni Grand furent cités, soudain résonnèrent en moi comme les harmoniques d'un même accord. Comme si de deux notes jouées ensemble s’échappait le lointain écho d'une même chose sue et tue à la fois. Comme si une même vision sympathique du monde et de la nature préexistait à la source de leurs travaux respectifs.
Henri Maldiney d’ailleurs au sujet de Tal Coat parle d’une « relation fondamentale de Tal Coat avec l'univers (qui) n'est pas agressivité mais sympathique ». Comme on le dit des cordes sympathiques, celles sur lesquelles on n'exerce aucune action, mais qui entrent en vibrations par simple résonance — par sympathie — due à la seule proximité des cordes jouées. L’œuvre de Toni Grand est du même ordre. Confrontées l’une à l’autre, ces œuvres s’enrichissent de ce même rapport.
Chez Tal Coat comme chez Toni Grand, toute chose, peut-etre destinée à l'oubli, doit être retenue, gardée avec le même souci de ne jamais sur-charger de ce qui ne s'impose pas. Leurs œuvres instaurent un même rapport au silence, à l'effacement. La « discrétion d'une présence qui rappelle sans rien imposer » (Yves Michaud) condition première de l’accès à l'étendue, à l'espace. Un espace qu'il faut aborder comme « un espace milieu et non un espace spectacle » (Stephane Carreyrou). Expérience formelle d'une commémoration, d’une permanence. Survivance de la chose souvenue. Le sculpteur et comme le peintre-dessinateur, travaillent à faire naître la forme contenue, à la laisser apparaître plutôt que la mettre à jour. Rendre visible un « invisible là » (cf. Henri Maldiney).
« J’ai été frappé par l'attirance de la roche. -De la roche, ou même de l'arbre aussi... Le Grand tronc... le besoin de poser sa main sur le rocher ou sur l'arbre pour capter je ne sais quoi, enfin... » (Pierre Tal Coat). On imagine tellement bien cette main commune se poser pareillement, caresser. Un même regard que les deux artistes portent sur l’arbre, le bois, l’écorce. « La nature c’est d’abord la forêt et les bêtes de la forêt, l’eau et la vie des eaux, les dessins d’une écorce et la lumière des lichens. Tout ce qui peut réunir et unifier l’expérience d’un géologue, d’un braconnier et d’un enfant ». (Henri Maldiney, Aux déserts que l'histoire accable: l'art de Tal-Coat, Deyrolle éditeur).
Quand Tal Coat dessine des écorces, des galets ou des silex, Toni Grand travaille le bois et la pierre. (Mais au-dela des exemples et citations, il y a aussi tout un champ semantique commun aux deux artistes. Un vocabulaire qui dit un même attachement à la nature et à l’espace ; à la pratique aussi.
Tal Coat parle de faille, d'incise, Toni Grand, lui, fend et refend. L’un prenait pour sources d’inspiration « le contexte gaëlique, la pierre et la forêt, l’âme celte », l’autre se concentrait sur les usages de la pierre et du bois dont il manipulait les planches de menuiserie et les branches d'arbre (le chêne notamment) pour les équarrir, les fendre, les découper, les tailler...
On pourrait encore transposer au sculpteur gardois ce que Maldiney suggérait du lien de Tal Coat à la nature : « Il s'agit que la peinture imite la nature dans son opération mais non pas dans ses effets. Le tableau est une image du monde en ce qu'il est, lui aussi, une activité. » Chez chacun d’eux le matériau de départ (qu’il soit peinture-pigment ou matériau) suggère la forme, le contour, la taille, il en définit la règle de développement, de progression. Une volonté de ne ne pas agir mais de se laisser agir. « L'origine naturelle en est presque oubliée sans qu'on ai pour autant le sentiment d'avoir affaire à un pur artefact » écrit Didier Semin à propos de Toni Grand.
Et puis il y a le feu. On ne parlera pas sans effroi de la consomption à laquelle une partie de l’œuvre de chacun des deux artistes fut livrée. Ce feu dans lequel les harmoniques sont devenues cendres. Cendres qui dansent telles des flammèches. De celles qui s'élèvent dans la nuit une fois le feu combattu et qui portent en elles la destinée des choses détruites mais pas oubliées. Là-haut dans le ciel, elles dansent toujours les « cendres tirant sur le bleu » (André du Bouchet).
Originaire de Bretagne, Pierre Tal Coat (1905-1985) était admiré et amis des grands artistes du XXe siècle, Calder, Chillida, Giacometti, Miro, Staël et des poètes, Gertrude Stein ou André du Bouchet… Il incarne la liberté farouche de peindre. Aux proclamations des Écoles, Tal Coat (« Front de bois » en breton) préférait selon ses propres mots « aller dans le regard du monde » et « mener une vie d’homme sauvage ». Tout son effort fut de restituer, par l’espace et par la matière vivante de ses tableaux, l’accord profond de la peinture et de la nature. Son œuvre fit l’objet d’une rétrospective au Grand Palais en 1976 et fut soutenue notamment par la Galerie de France, la Galerie Maeght et la Galerie Clivages. Elle représenta la France dans les grandes manifestations internationales telles la Biennale de Venise, la Documenta de Kassel ou la Biennale de Sao Paulo.