Planche 1 du Chaman et ses créatures.
Notes sur la figure du chaman
Jean-Luc Mercié (Pierre Molinier, Editions Les presses du réel - Kamel Mennour, 2010, p. 53) à propos du Chaman: Molinier, qui s'identifiait au Christ et à Satan, a découvert dans « le sorcier du Grand Nord » un archétype transcendant l'antagonisme traditionnel des frères ennemis. D'origine divine, le chaman a partie liée avec les esprits d'en haut et maille à partir avec le profane d'ici-bas. Intercesseur, guérisseur, magicien (...).
Surtout, le chaman est un androgyne qui a éprouvé toutes les passions et connu toutes les jouissances, comme Tiresias de Thèbes.
Molinier a lu (et coupé jusqu'à la page 57) le livre d'Eliade sur le chamanisme (...). Il souligne cette phrase de l'avant propos: « Le chamanisme est une des techniques archaïques de l'extase, à la fois mystique, magie et « religion » dans le sens large du terme.»
Le Chaman et ses créatures est dédié à toutes les femmes que Molinier a aimé : Magda, Emmanuelle, Hanel et Poupée.
Pierre Petit (Pierre Molinier et la tentation de l'orient, Opales / Pleine page éditeurs, Bordeaux, 2005, pp. 37-38): Molinier emprunte aux traditions tibétaines l'image du chaman, "c'est avant-tout un sorcier, guérisseur de lui-même et des autres "; mot que l'on retrouve chez les peuplades sceptentrionales d'Asie, de Mongolie, du Tibet, de la Chine, de l'Inde ancienne, de l'Indonésie moderne, de l'Océanie, de l'Afrique aussi (Soudan) etc : motif universel
"Cependant, l'image emblématique qu'il donne (du chaman) dans le cliché introductif de son album correspond peu à celle du sorcier autochotone décrit par les anthropologues: en réalité, on est en présence d'une oeuvre hétérogène qui présente davantage de liens avec le Diable, et la sorcellerie, qu'avec le chaman. Crâne chauve, rire méphistophélique, yeux blanchis et masque noir n'ont aucun rapport avec le chaman; les oreilles en points, animales, rappellent à la fois le loup-garou et l'image célèbre de Nosferatu le Vampire du cinéaste allemand Murnau (1922). Son apparition est tout à fait dramatique: en violent contre-jour, il écarte "de lourdes tentures", comme l'écrit André Breton dans sa préface à l'exposition de l'Etoile Scellée (1956) (...) D'emblée, Molinier se pose, et pose, comme Androgyne. (...) Mais la présence de l'Orient se fait sentir: les yeux du chaman sont bridés; au regard du spectateur, il expose des seins inhabituellement globuleux et sphériques empruntés à la statuaire et à la peinture asiatiques : les parois extérieures des étonnants temples de Khajurâho (Xe et XIe s), au centre de l'Inde, foisonnent de miliers de scènes érotiques om firgurent presque toujours "ces seins gonglés comme des fruits murs"." On retrouve ces figures dans les peintures de Molinier, par exemple Les jumelles sont toujours amoureuses (1962).