Les installations de Letha Wilson tissent un rapport étroit entre photographie et sculpture. L’entrechoquement de forms brutes et d’images prises dans la nature créent de nouveaux champs d’expérimentation dans le domaine de la photographie paysagère contemporaine. Si de nos jours la plupart des photographies sont vues de façon numérique par le biais d’écrans, l’œuvre de Wilson, elle, s’affiche comme surmatérielle. Ses oeuvres monumentales sortent ainsi des cadres conventionnelles de la photographie en rampant sur les murs ou en s’enroulant autour d’imposants piliers. C’est le matériau même de ses photos que Letha Wilson vient ainsi manipuler et malmener via un travail de brûlures, lacérations, soudures, découpes laser, ajouts de métal ou de béton. Les sculptures portant des traces de brûlures au chalumeau suggèrent ainsi le burn-out écologique actuel en évoquant les incendies de forêt de plus en plus fréquents sur la côte ouest des États-Unis. En mêlant matériaux industriels et images géologiques, les œuvres de Letha Wilson illustrent à merveille l’anthropocène, caractérisé par l’impact dominant de l’humanité sur l’environnement et les écosystèmes planétaires.
Nombre de ses œuvres incorporent et combinent des clichés pris dans les parcs naturels nationaux de l’Ouest américain. Celles-ci renvoient au dix-neuvième siècle, moment charnière où les débuts de la photographie coïncidaient alors avec l’idée de préservation des paysages américains. Letha Wilson ne fournit pas de commentaire militant explicite sur la destruction de l’environnement, mais ses sculptures font émerger questions et réflexions sur les dégâts causés par des siècles de colonialisme occidental, de dépossession des peuples autochtones et d’extraction des ressources naturelles – pratiques contemporaines à la création des parcs nationaux. Depuis son enfance, Letha Wilson fréquente assidument les grands parcs américains et les a photographiés lors de longues randonnées souvent solitaires. Ses gros plans de roches, de cratères, et de feuillage vont à l’encontre des vastes panoramas sublimes qui caractérisent la photographie de paysage traditionnelle. Ses images sont méditatives et personnelles. Pendant ses randonnées, Letha Wilson est un capteur sensible. Elle n’est pas à la recherche de vues conventionnelles et prédéterminées, avec un premier, un second et un arrière-plan.
Ses derniers voyages, effectués juste avant la pandémie, l’ont menée dans le parc national des Craters of the Moon dans l’Idaho et au Mead Botanical Garden d’Orlando, et figurent dans ses productions les plus récentes. Le premier est un paysage désolé où les astronautes américains s’entraînaient avant leurs missions lunaires. Le second est une oasis de verdure où des familles pique-niquent au milieu des jardins, des serres et des papillons. D’autres œuvres présentées au sein de l’exposition contiennent des images de la Valley of Fire, au Nevada, terrain d’exploration favori de l’artiste, avec ses pétroglyphes anciens et ses formations de grès rouge. De nouveaux reliefs muraux comme Craters of the Moon Steel intègrent des images de roche volcanique à l’aspect spongieux et grêlé. La pierre semble si usée et tachée que l’on n’aperçoit qu’après coup les traces circulaires réalisées au chalumeau, évocation discrète de l’exploitation minière, du feu ou des démolitions à l’explosif. Tantôt courbes, tantôt anguleuse, des formes en acier imprimé se superposent et forment un nouvel alliage oscillant entre douceur et puissance.
Letha Wilson façonne avec soin l’espace qui entoure ses images sculptées. L’un des plaisirs procuré par son travail provient certainement de la manière déroutante dont les profils et les silhouettes de ses œuvres changent au gré de nos déplacements autour des sculptures offertes à notre regard. Son travail montre comment les concepts de nature et de paysage sont construits par la vision et l’entreprise humaines, et à quel point ces sites naturels se trouvent dans une situation précaire.
Sarah Montross
Letha Wilson (née en 1976 à Honolulu, États-Unis) vit et travaille à Brooklyn, New York. Elle s’est diplômée en peinture à l’université de Syracuse en 1998 et en media mixes au Hunter College en 2003. Ses résidences comprennent l’École de peinture et de sculpture Skowhegan, à Yaddo, le Centre Bemis pour les arts contemporains, ou encore le Headlands Center for the Arts. Son travail a été mis à l’honneur à l’occasion d’expositions personnelles à la GRIMM Gallery de New York (US), au de Cordova Sculpture Park and Museum, Lincoln (US), au Center for Contemporary Art and Culture (Portland, US), à la Galerie Christophe Gaillard (Paris, FR) ou encore à Light Work (Syracuse, US). Letha a reçu une bourse d’artiste NYFA (New York Foundation for the Art) par l’AWAW - Anonymous Was A Woman, 2020 ; une bourse d’artiste NYSCA / NYFA (New York Foundation for the Art) en photographie par the New York Foundation for the Art, 2019 ; ainsi qu’une bourse de voyage par la Jerome Foundation.
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Sarah Montross est conservatrice au de Cordova Sculpture Park and Museum. Elle a également travaillé au Bowdoin College Museum of Artoù elle a organisé des expositions et des publications telles que Past Futures : Science Fiction, Space Travel, and Postwar Art of the Americas (2016). Elle a obtenu son doctorat en histoire de l'art à l'université de New York et a occupé des postes à la National Gallery of Art de Washington DC et au Museum of Modern Art de New York. Elle étudie plus particulièrement les liens entre art et technologie et a assurer le commissariat de l’exposition Screens : Virtual Material and Cool Medium : Art, Television, & Psychedelia, 1960-1980 (2017).