Michel JOURNIAC
Les Mains
15.01 - 26.02.2021
L’œuvre de Michel Journiac (1935-1995, Paris) est une tentative d’approche du corps. Le corps est la question et le matériau même de son travail. Ses peintures, ses sculptures, ses photographies, ses actions et l’ensemble des manifestations qu’il invente depuis la fin des années 1960 interrogent la place de l’individu dans la société et les mécanismes qui le conditionnent. Ses œuvres révèlent et défendent celle du corps intime, du corps individuel en rapport avec le corps collectif et social. (...)
« Le corps, c’est ce qui surgit et qui nous pose en permanence la question que l’on ne peut pas détruire. Les idées peuvent évoluer, se transformer, on peut utiliser tous les sophismes possibles et imaginables pour s’en tirer, mais devant quelqu’un que l’on désire ou devant la mort, le cadavre, les idéologies, craquent. C’est là que la création a son rôle à jouer en assumant cette tentative d’approche du corps1 (…). »
Dès ses premières œuvres, Michel Journiac invente une sémiologie, un alphabet2 du corps. Il accorde une importance particulière à la main, même aux mains, au pluriel plutôt qu’au singulier, car elles figurent d’abord chez Journiac un appel, un contact, une rencontre. Premiers signes de l’expression humaine apparus sur les parois des grottes pariétales, elles sont la marque d’une présence et signifient le premier mouvement de la communication, le premier geste vers l’autre. De nombreux historiens ont décrit et analysé leurs représentations depuis les origines de la création. Dotées d’une grande puissance suggestive, les mains traduisent l’expression des sentiments et de la pensée, jusqu’à symboliser la relation de l’homme au divin. André Chastel a par exemple étudié, depuis l’Antiquité, l’importance iconographique de la prière, la jonction des mains, comme geste symbolique initial (on le retrouve régulièrement chez Journiac) et montré combien le fait d’isoler les mains permettait d’en faire « un objet signifiant considérable », « une formidable métonymie visuelle », parce qu’il y a « comme une tendance du signe à se concentrer sur lui-même3 ».
Michel Journiac a retenu la leçon de cette tradition picturale : les mains sont mises en valeur dans la plupart de ses œuvres et sont le sujet principal de ses Rituels. Qu’il s’agisse des siennes ou de celles des acteurs de ses performances, il choisit de les mettre en scène de façon séquencée et de les photographier en gros plans, en noir et blanc, avec ce souci extrême de l’efficacité de l’image qui le caractérise. Le cadrage resserré lui sert ainsi à isoler les mains et à les individualiser, presque à les personnifier. Quant à la bichromie, elle renforce les jeux de contrastes et souligne l’expressivité des corps tout en les rendant anonymes et universels. Journiac reprend à son compte les codes et l’iconographie religieuse qu’il a étudiée et qu’il connaît. Il décline dans ses actions photographiques une gestuelle empruntée à la liturgie catholique qu’il mêle aux gestes les plus simples du quotidien. Mains qui se joignent ou s’entrelacent, index pointé, poings qui se ferment, mains qui se serrent… Du représenté au vécu, il élabore un répertoire de signes et invente un langage non verbal – comme une nouvelle langue des signes –, qu’il veut dégagé des pièges de la religion et de la société pour dire et approcher l’intime autant que le sacré. (...)
Extrait du texte écrit par Armance Léger.
1 Michel Journiac, Écrits, op. cit., p. 157.
2 C’est le titre d’une série importante de ses peintures : Alphabet du corps (1965).
3 André Chastel, « L’art du geste à la Renaissance» in Revue de l’art, n°75, 1987, pp. 9-16.