Quand je décidai de présenter pour la première fois au public français, l’œuvre de William Tucker, j’ai tout de suite, comme par un enchaînement naturel ou inconscient, pensé aux peintures d’Eugène Leroy.
« Si le corps émerge difficilement, c’est par défaut – il va sans dire que ce défaut est l’exigence de cette peinture. C’est parce qu’il y a une difficulté primordiale à voir qu’il y a une difficulté à représenter et cette difficulté impose la surcharge, la sédimentation. En cela, c’est une peinture qui tente de dépasser son propre échec, l’échec à faire un corps produit, malgré tout, un corps et ce jeu dans son recommencement perpétuel ». On ne saurait dire en lisant ces lignes d’Éric Suchère si, elles parlent de Tucker ou de Leroy. .
En effet cette impossibilité me semble œuvrer tout autant chez les deux artistes ainsi qu’un un même acharnement. L’acceptation d’un combat perdu d’avance mais l’impossibilité de renoncer à livrer bataille.
L’artiste n’est-il pas ce Saint Thomas fouraillant les chairs du Christ ressuscité ?
Et nous aussi, tel l’apôtre qui doute, spectateurs devant les bronzes de Tucker ou les peintures de Leroy, nous sommes invités à entrer dans l’image, à expérimenter ce que ressent celui qui doute de ce qu’il voit. Comme si la vue était insuffisante pour attester de la présence (re-suscitée) du sujet peint ou sculpté. C’est là le miracle commun aux deux artistes réunis ici. La vérité ne naît pas du sujet ressuscité mais de sa quête.
De leur pratique à tous les deux, le voir cède la place au toucher qui envahit quant à lui le domaine du visible : le voir devient tactile. Il s’agit de sentir des yeux la texture des corps, la chaleur des couleurs, les anfractuosités du bronze et ainsi de de refaire par la vue l’expérience extrême du toucher de saint Thomas.
Comme si le recouvrement de la vue, de la présence réelle ne pouvait se faire qu’au travers de la matière même.
Christophe Gaillard
LEROY / TUCKER
ou l’incarnation du voir
Exposition du 5 mai au 5 juin 2022
Vernissage, samedi 7 mai, 16h - 19h.