La Galerie Christophe Gaillard est heureuse de présenter à Paris sa première exposition d’œuvres de Philippe Vandenberg (Belgique, 1952 – 2009), artiste reconnu en Belgique et sur la scène internationale, en collaboration avec l’Estate Philippe Vandenberg. Il s’agit de la première exposition personnelle de l’artiste en France depuis celle avec Berlinde De Bruyckere (Il me faut tout oublier) à la Maison Rouge à Paris en 2014.
Philippe Vandenberg préférait au nom de peintre ou d’artiste celui de « témoin à charge » ; au mot d’« œuvres », celui de « tentatives », expliquait-t-il en janvier 2009¹, peu de temps avant sa disparition.
Le dessin magistral (Sans titre, 2007-2008) de plus de quatre mètres de long ainsi que la plupart des œuvres que nous avons choisies d’exposer à la galerie ont été présentées en 2020 à BOZAR (Palais des Beaux-arts) à Bruxelles dans l’exposition « Molenbeek »,dédiée aux dernières œuvres sur papier de Philippe Vandenberg. Sur de grandes feuilles disposées à même le sol de l’immense atelier qu’il occupait dans le quartier populaire de Bruxelles, Vandenberg crayonne et entremêle des inscriptions vives et colorées. Répétées à la manière de slogans ou de mantras, ces phrases, d’un abord ludique, enfantin et burlesque, révèlent peu à peu la violence du monde qui l’entoure autant que l’inquiétude intime, existentielle, de l’artiste – et l’urgence de les dire.
« En premier lieu, ne pas être un artiste mais un témoin à charge.
Et en deuxième lieu : être mobile. »
Philippe Vandenberg est né en 1952² dans une famille bourgeoise, près de Gand. Dès son plus jeune âge, sa pratique du dessin est quotidienne. Son adolescence est marquée par la découverte de l’œuvre de Jérôme Bosch (Le Portement de Croix, Musée des Beaux-Arts de Gand). Il étudie la littérature et l’histoire de l’art puis suit des cours à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand, contre la volonté de ses parents. Il se passionne pour Francis Bacon et Pablo Picasso ou encore pour les écrits d’Hugo Claus, de Louis Ferdinand Céline et d’Allen Ginsberg. Au cours de ses voyages, Vandenberg découvre à New York la peinture abstraite américaine (plus tard celle de Philip Guston), et à Madrid les œuvres de Goya et du Greco.
Dans les années 1980, les toiles figuratives de Philippe Vandenberg rencontrent un vif succès (séries de Kruisigingen (Crucifixions), des Schervenwerken (Œuvres d’éclats) ou le cycle De Geboorte (Naissance)). Il est l’un des artistes belges les plus admirés, dans le mouvement de renouveau de la peinture contemporaine sur la scène internationale. Pourtant à partir de 1989, il se sent oppressé par le marché et par le milieu de l'art. Son style évolue, ses recherches se radicalisent : l’artiste opère un revirement radical et adopte une position ouvertement critique. Ses œuvres se chargent de références politiques et de signes burlesques ; les critiques et les collectionneurs commencent à s’en détourner.
Le début des années 1990 marque alors une nouvelle phase dans l’œuvre de Philippe Vandenberg, qui emploie désormais des motifs dérivés de l’iconographie chrétienne. Parallèlement, il multiplie les expériences poétiques ; l’usage du mot fait son apparition dans le dessin. En 1995, Vandenberg renoue avec le public. Nouvelle période, marquée par deux gestes forts : il recouvre des œuvres antérieures de couches de peinture noire (Grandes noires) et il utilise son propre sang pour réaliser des dessins, « pour oublier la peinture ». Puis « lorsque cela est aussi devenu une habitude, lorsqu’[il] commence à [s]’immobiliser », il revient à son premier medium. Ces nouveaux travaux expriment plus de fragilité, de douceur et de tendresse.
En 1996-1997, il associe des peintures de mots à des panneaux peuplés de personnages de contes de fées et de figures de l'Ancien Testament. Il voyage en Asie, à Cuba et en Europe et lit avec assiduité les écrits d'Elfriede Jelinek, de Georg Trakl et de Paul Celan. Le Musée d'Art Contemporain d'Anvers (M HKA) organise une importante exposition-bilan de son œuvre.
En 2001, la dépression et la toxicomanie le mènent à faire le premier de ses nombreux séjours à l'hôpital. Il achève une série d’autoportraits et de portraits d'Ulrike Meinhof, chef de la Fraction armée rouge, et d’Antonin Artaud. Sa peinture se fait plus géométrique et se concentre sur des symboles, en particulier celui de la croix gammée. En 2005, il quitte son atelier de Gand pour s’installer à Molenbeek. Vandenberg éprouve un sentiment de liberté artistique inédit et travaille à partir de matériaux de rebut qu’il collecte dans la rue. Dans l’atelier, les photographies des actualités découpées dans les journaux, les images des désastres de la guerre côtoient les textes de Jean Genet, d’Artaud, de Céline ou de Dostoïevski ou encore la biographie du cinéaste Rainer Werner Fassbinder. Tantôt figuratives, tantôt abstraites, ses œuvres, les peintures, les assemblages et les dessins, charrient la cruauté, la réalité tragique de notre condition. Philippe Vandenberg s’est suicidé en 2009. « Témoin à charge » de son époque, son œuvre continue d’interpeler la nôtre avec vigueur.
« J’ai été peintre comme j’ai été gosse, longtemps.
Faute d’un langage maternel, je suis entré en peinture pour formuler les questions, les demandes.
Mais les questions posées, les demandes exprimées, où trouver les réponses ?
Et je suis devenu un peintre d’embouteillages. Un peintre d’exil. Un peintre de grandes crucifixions d’embouteillages en dedans de la toile, qui déchirent la peau de la belle peinture. Suis-je encore innocent³ ? »
¹ Dans le film d’Hans Theys, Witness for the Prosecution / Témoin à charge, janvier 2009. Toutes les citations qui suivent sont extraites du film.
² Pour de plus amples informations, consulter le site de la Philippe Vandenberg Foundation.
³ Philippe Vandenberg, Lettre au Nègre, Paris, mai 2003.