Si la fonction d’un titre est de condenser à lui seul le contenu d’une exposition ou d’en résumer l’esprit, The title as the curator’s art piece a de quoi donner du fil à retordre. Cet énoncé - qui résonne comme un statement conceptuel pur jus - est une oeuvre de Stefan Bru?ggemann, artiste mexicain basé à Londres, qui élabore depuis quelques années une liste de titres d'expositions (Show Titles) qu’il met à la libre disposition de tous. A l’examiner de plus près, ce titre qui se contredit pourrait servir d’amorce à bien des syllogismes ; il nous semble pourtant plus pertinent de le considérer sous son aspect “fonctionnel“, non en tant qu’énoncé mais pour sa valeur d’oeuvre. De fait, les Show Titles sont des pièces latentes, au sens où elles n‘existent en tant que titre que si l’on s’en sert ; dés lors qu’elles sont “activées” par un tiers, elles n’appartiennent plus tout à fait entièrement à l’artiste et deviennent en quelque sorte collaboratives. C’est précisément en raison de leur nature complexe ou de leur statut fluctuant que les oeuvres de cette exposition ont été réunies: la manière dont elles se définissent par rapport à un usage ou un environnement, leur positionnement/déplacement vis à vis d’un contexte qui est celui de l’histoire de l’art ou de la tradition picturale, ou encore la façon dont elles échappent parfois à leur créateur…en quelque sorte, leur dimension “existentielle”.
Ainsi, les définitions/ méthodes de Claude Rutault - toiles peintes de la même couleur que le mur sur lequel elles sont accrochées - intègrent par essence la possibilité d’exister dans une infinité de réalisations, indépendamment de la volonté de l'artiste, mais dans la limite d’un énoncé qui leur est immanent. De même, les Mailed Paintings de Karin Sander - toiles vierges envoyées à des galeries - résultent d’un processus qui échappe totalement à l’artiste, à la différence près que leur forme finale est totalement imprévisible et réserve parfois d’heureuses surprises. Qui aurait soupçonné la poste capable de produire des ready-mades qui ressemblent à des Mondrian ou des Fontana ? Si la toile en tant que support joue un rôle central dans les oeuvres de Rutault et Sander, il en est tout autrement dans le travail de Miguel-Angel Molina. Ce dernier aborde la peinture pour ce qu’elle est, à savoir un matériau avec des qualités spécifiques, et crée des pièces comme les Peintures en forme de flaque de peinture qui se distinguent par leur caractère à la fois primitif et sophistiqué; ce faisant, et de manière paradoxale, il tend à faire glisser la peinture - en tant que genre – du côté de la sculpture.
Plus distanciée, l’approche d’Isabelle Le Minh est d’ordre méta-artistique. En inventoriant et classant des milliers d’oeuvres d’artistes qu’elle définit en quelques mots, elle montre que toute tentative de verbalisation aboutit fatalement à des approximations. Orchestré dans une installation ludique (Listing/détail), son travail souligne l’absurdité de toute entreprise qui viserait à réduire une oeuvre à une simple définition.
Quant aux pièces de Yann Sérandour (Titled (Art as Idea as Idea) [Kosuth]) et Jill Miller (I am Making Art Too), elles réactualisent l’une et l ‘autre les propositions de deux pères de l’art conceptuel, respectivement Joseph Kosuth et John Baldessari. Bien que d’apparence tautologique, ces pièces fonctionnent selon le principe du feedback, un “retour à l’envoyeur” qui, en modifiant et déplaçant l’oeuvre originale dans un autre contexte, provoque un accroissement de sens. Certes, en “remixant” et en se glissant dans la vidéo de John Baldessari (I am Making Art), Jill Miller fait de ce “père” son pair et fait de l’art aussi… tout comme les autres artistes de l‘exposition, et même le curateur, s’il faut en croire le Show Title #347 de Stefan Bru?ggemann : The title as the curator’s art piece.