Signalement Unglee
Que sait-on d’Unglee ? Qu’il aimait les tulipes et leur parfum, la photographie, le cinéma, qu’il avait eu deux femmes et un amant à moins qu’il n’en eût bien d’autres, qu’il avait un temps cultivé ses tulipes à Melun ou ailleurs, que la célébrité avait eu dans sa carrière une place prépondérante, comme en témoignent ses passages à Hollywood ou au MoMA, à moins que ce ne fût sur la Riviera.
Mais qui évoque-t-on ici ? Un personnage de fiction tel qu’il s’étale dans ses Disparitions ? L’artiste autant rompu à la photographie de studio qu’au photomontage, à l’écriture cinématographique autant qu’au pastiche ?
Qui tenterait de dénouer la complexité du personnage Unglee s’apercevrait très vite de la vacuité de son entreprise tant le brouillage des pistes est intentionnel et les informations communiquées aussi factuelles et précises que parcimonieuses.
Mieux vaut donc ici s’attacher aux signes et aux formes laissés par Unglee comme autant d’indices d’une œuvre tout autant conceptuelle que sensationnelle et sensuelle, susceptible de cerner « l’air du temps » (pour reprendre le nom d’un parfum apparaissant dans son film Radio-Serpent, 1980) avec humour et impertinence, rappelant autant celle d’un Opalka que d’un Warhol. Point de protocole régissant ouvertement l’œuvre mais un motif obsessionnel – la tulipe – inlassablement décliné sous différentes formes (photographies, films, parfum..). Point de représentations d’Elvis, Marylin, Liz, Ileana Sonnabend ou encore d’hibiscus mais une série de nécrologies permettant de convier à travers le prisme d’une identité singulière et composite une panoplie de célébrités (Castelli, Minnelli comme Ogier fille, un compositeur de talent mort prématurément, ou encore une tulipe baptisée Princesse Charmante à la magnificence tout hollywoodienne).
Deux formes majeures traversent donc l’œuvre d’Unglee : l’autoportrait et les portraits de tulipes – à moins que les deux ne soient indissociables comme le laisse présager l’autoportrait intitulé Unglee à dix-sept dans le jardin familial. La photographie n’est pas datée, compliquant ainsi la tâche d’un éventuel exégète qui tenterait de retrouver l’année de naissance de l’artiste. Le jeune homme en pull rouge semble se fondre aux six tulipes rouges qui occupent le premier plan. Peut-être alors faut-il envisager les photographies de tulipes rouges sur fond noir de la série Identité (1990-1992) comme autant de variations sur le portrait de l’artiste. Elles ont d’ailleurs été réalisées parallèlement à la Recherche de Princesse Charmante (1990-1996), une autre quête identitaire portant sur un étrange bulbe qu’une longue et fastidieuse enquête menée par l’artiste permettra d’authentifier.
Ce sera au tour des Disparitions d’associer le personnage Unglee à « ses » tulipes. Pendant journalistique contemporain et populaire à l’oraison funèbre ou au panégyrique associant la mort à la célébrité sur un ton plus ou moins laudateur en fonction des contrées, la nécrologie aura trouvé en Unglee une plume virtuose rompue à l’exercice. À partir du pastiche journalistique textuel et visuel passant par le photomontage, une fiction s’est développée à travers des inserts répétés dans la presse artistique entre 1994 et 2008. Chacun des textes mentionnant copieusement la passion d’Unglee pour les tulipes s’accompagne d’un portrait de l’artiste. Dans la Disparition intitulée Unglee, la rumba de la tulipe, Paris 1993-8 mai 1995, la photographie qui accompagne le texte reprend une image publicitaire créée pour le parfum Tulipe Bleue (Publicité pour le parfum Tulipe Bleue, 1995). Elle met en abyme un portrait d’Unglee que l’on dirait négligemment posé sur le manteau d’une cheminée encadré de tulipes sombres. On y retrouve alors la même association que celle du jardin familial, seul le décor a changé, l’obsession, elle, s’est affirmée.
Les Disparitions comme le motif obsessionnel des tulipes invitent alors à une relecture d’un genre pictural – celui de la vanité – qui a su trouver dans la peinture flamande, à l’heure où sévissait la crise de la tulipe*, ses lettres de noblesse. Une toile comme Vanitas de Jacob de Gheyn (1603) conservée au Metropolitan Museum, réunit notamment le crâne, la tulipe et l’encens qui se consume, autant d’éléments dénotant le caractère éphémère de la vie. Chez Unglee, la photographie du défunt a remplacé le crâne, le parfum a remplacé l’encens. Si les tulipes subsistent d’une représentation à l’autre, elles symbolisent également la caducité de la vie et comme l’écrit l’artiste dans l’une de ses Déclarations « Unglee pleure parce que les tulipes sont éphémères**». La tentative de les associer à sa biographie rappelle également le mythe de Narcisse tombant amoureux de son reflet, car après tout, la tulipe, autre fleur de la famille des liliacées, a peut-être une symbolique bien moins éculée.
Audrey Illouz
* Considérée comme l’une des premières crises spéculatives, la crise de la tulipe ou « tulipomanie » sévit au milieu du XVIIe siècle dans les provinces unies des Pays-Bas. Suite à l’engouement pour la tulipe, le cours de l’oignon de tulipe augmente de manière démesurée avant de s’effondrer.
** Unglee, Déclarations, éditions centre d’art contemporain de Basse-Normandie, Hérouville Saint-Clair, 1993
UNGLEE: On le croyait heureux
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