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Avec Rachel de Joode (*1979), nous nous plongeons dans un monde à la fois familier et étranger : une image photographique d?un objet représente cet objet. La photographie de l?objet se libère alors de son corps matériel. Les évolutions technologiques ? comme les écrans qui jouent un rôle important dans l?évaluation et la réception des images ? ont une grande influence sur notre perception : le travail de Rachel de Joode s?établit à la frontière entre l?expérience matérielle analogique et la reproduction digitale.
Dans cette exposition, Rachel de Joode interroge l?espace de la salle ? et plus particulièrement de la salle d?exposition ? par rapport à son esthétique, aux événements artistiques actuels, et plus particulièrement à ceux qui circulent online. Sa recherche s?établit dans la convergence entre l??uvre d?art tridimensionnelle et son pendant bidimensionnelle. Le monde digital n?était pas et n?est pas seulement immatériel, comme Felix Stalder l?explore dans le livre « Kultur der Digitalität » (« Culture de la digitalité »), publié cette année. La pulsion fugace de la communication digitale repose sur des infrastructures concrètes globales, dans des mines profondément enfouies sous la surface de la terre dans lesquelles reposent des métaux en terres rares, jusqu?au cosmos où des satellites voyagent en orbite autour de la terre. Lors de nos errances quotidiennes, ces connexions sont à peine visibles et donc souvent ignorées ? elles ne s?estompent pas pour autant et ne perdent pas leur importance. Le monde digital renvoie historiquement à de nouvelles possibilités de constituer et lier entre eux différents acteurs, humains et non-humains. Ici se rejoignent l?approche de Rachel de Joode et la réalisation de Felix Stadler : la notion de digitalité n?est pas limitée aux seuls médias numériques, mais apparaît plutôt en tant que modèle relationnel dans les contextes analogiques et renouvelle l?étendue des possibilités de nombreux matériaux et acteurs.
Tous les travaux présentés dans l?exposition sont des nouvelles productions et découlent de la récente fascination de Rachel de Joode pour les décors et le théâtre de marionnettes. Le sentiment, de se sentir petit ? comme une fourmis ? lui plaît et lui sert de point de départ pour de prochaines discussions. Une petite fourmi sur la gigantesque planète Terre, qui se déplace à son tour dans un univers infiniment grand. Sa façon de manipuler les proportions se dévoile à travers la réalisation de ses « Stacked Sculptures ». Les « Stacked Sculptures » remplissent la salle d?exposition de leur présence et nous sentons notre propre corps rétrécir dans une moindre mesure. Dans la salle d?exposition, l?artiste joue habilement avec la manière dont notre perception est conditionnée par la technologie qui nous entoure : nous voyons, pensons et bougeons autour de l?objet, et même si son travail n?aborde pas des questions technologiques en soi, elle renvoie tout de même à la culture visuelle contemporaine du monde digital. Elle travaille des matériaux comme l?argile, les pigments et la résine avec ses mains et enregistre ces « conversations » à travers la photographie. Dans une étape suivante, elle sélectionne quelques-unes de ces images créées avec ses mains, qu?elle stratifie et superpose ensuite avec le logiciel Photoshop pour en constituer qu?une seule partie. En résulte des sculptures bidimensionnelles qui sont agencées en tant de groupes ordonnés, exprimant la zone de conflit entre la corporalité de l?image en atelier et l?image qui la détermine par la suite. Ces formes uniques restent identifiables, bien qu?abstraites, et nous rappellent la question que l?artiste pose lors de son processus créatif : c?est comment, d?être une chose ?
Dans la dernière salle, le triptyque se compose de trois scènes, comme des pièces de théâtre. L?artiste est en représentation, ses mains fabriquent et montrent en même temps des objets en céramique, traduisent des taches de couleur ou placent une mini-?uvre sur un socle. L?espace devient un présentoir, la limite entre le tactile d?un objet et sa plane représentation photographique devient floue. Les céramiques présentées sont le témoignage du processus de l?atelier, de mouvements fugaces retenus dans l?argile, cuite et émaillée.
L?approche de Rachel de Joode avec la matérialité oscille entre la sculpture classique et la mise en ?uvre-transformation-réalisation de la pratique visuelle et celle d?aujourd?hui consiste en une esthétique digitale. Ses travaux antérieurs peuvent être classés dans la peinture classique et la photographie de nature morte. Aujourd?hui il s?agit de sculptures hybrides ou de photographies sculpturales. Lorsque questionnée à propos de son intérêt pour la photographie en tant que médium, l?artiste explique sa fonctionnalité : comment le langage photographique aplatit et simplifie, comment elle représente la réalité ? selon le sens communément admis. Elle renvoie à Roland Barthes : la croyance d?une réalité écoulée n?est pas transmise à travers d?autres arts visuels ; ils imitent, alors que la photographie montre. Ainsi, son approche, ou son noema (contenu sémantique) postule que de temps en temps « ça s?est passé comme ça ». Dans ce contexte, la photographie fonctionne comme la prolongation du geste d?un enfant, qui montre quelque chose et dit : « ça là, c?est ce truc ». Le conflit de Rachel de Joode va même plus loin : avec la duplication du plan focal, elle infiltre la prétendue fonction mimétique de la photographie et repousse la limite entre l?effigie digitale, l?objet et l??uvre dans la salle d?exposition.