TALK : Armance Léger

Poétique des matériaux dans l’œuvre sculptée de Daniel Pommereulle (entre 1965 et 1995)

Intervention de Armance Léger, le vendredi 4 avril à 14h30

 

L’œuvre de Daniel Pommereulle (1937-2003) a récemment été mise à l’honneur au Musée d’Art Moderne de Paris, dans une salle des collections permanentes qui rendait hommage à la pluralité et à l’audace de ses recherches plastiques. À l’origine du parcours : l’acquisition par le musée en 2022 d’un Objet de prémonition (1974), un pot de peinture vide retourné, serti de plomb et bardé de piques et de lames de scalpels. Cet Objet emblématique de l’esthétique de la violence et de la cruauté que l’artiste invente au milieu des années 1960 après son retour de la guerre d’Algérie, dialogue autant avec les objets à fonctionnement symbolique des Surréalistes qu’avec les assemblages des Nouveaux Réalistes ou encore les objets hybrides d’un artiste de l’âge post-Hiroshima comme Tetsumi Kudo. 

Associé au groupe des « Objecteurs » par le critique Alain Jouffroy en 1965, l’année où il crée son tout premier objet cruel (Objet hors saisie, 1965, Centre Georges Pompidou), Daniel Pommereulle n’a cessé de tenir sa recherche en mouvement, déstabilisant souvent le public qui peine encore à saisir la complexité de son œuvre protéiforme, pourtant d’une cohérence remarquable.

La diversité des sculptures qui était présentées dans la salle du MAM de Paris en témoigne. À quelques mètres de l’Objet de prémonition se dressait le monumental Toboggan (1974, CNAP), un tube serpentin en polyuréthane de 2,50 mètres de haut et de 4 mètres de long, dont la chute se termine par un large couperet d’acier, destiné à sectionner par le milieu le corps du visiteur… Conçu par l’artiste pour son exposition au Centre National d’Art Contemporain en 1974 à Paris, l’appareil est une provocation érigée dans l’espace public (aux frais de l’État), dont la beauté chromée évoque les sculptures de Constantin Brancusi et renvoie à l’histoire de la sculpture moderne. À la fin du parcours, deux sculptures en verre interpellaient le regard qui pouvait les traverser à distance. La première (La Vague, 1984, CNAP), composée de grandes feuilles de verre industriel bleu superposées, dessinait dans l’espace une ligne de crête acérée. La seconde (Sans titre, 1993, CNAP) combinait un bloc de verre atomique jaune, le matériau utilisé pour fabriquer les fenêtres des centrales nucléaires, à une plaque de porcelaine translucide mouchetée, filtrant les passages d’ombres et de lumière et œuvrant des multiples effets de la translucidité. Quatre sculptures qui signifient l’évolution et l’importance historique de l’œuvre sculptée de Daniel Pommereulle, comme un condensé des problématiques qui la sous-tendent.

 

Pour un artiste qui a souvent changé de techniques, en quoi le choix spécifique des matériaux lui permet-il de formuler concrètement ce qui motive son art ? Si la première séquence de l’œuvre sculptée de Daniel Pommereulle se rattache d’abord à l’histoire de l’assemblage et de l’objet, au cours de laquelle l’emploi de pots de peinture, de lames et de plomb entre 1965 et 1975 lui permet d’atteindre l’acmé de ses recherches sur le potentiel psychique et le contenu latent des objets, notamment à travers une esthétique du tranchant, le tournant radical qu’il opère au milieu des années 1980 ouvre de nouvelles perspectives. Par son utilisation du verre industriel et atomique, du marbre, de la céramique et de l’acier entre 1985-1995, Daniel Pommereulle forge une sculpture nouvelle, énergétique, que l’on pourrait qualifier de sculpture-paysage. Il semble trouver dans la pratique du medium, après Alberto Giacometti, « une solution entre les choses pleines et calmes et aigües et violentes ».

 

Connaissant les propriétés essentielles des matériaux, usant de leur valeur matérielle et symbolique, esthétique voire même cathartiques, jouant de leurs qualités de conservation et de leur dangerosité potentielle vis-à-vis des institutions, des galeries et du public, Daniel Pommereulle a créé une véritable poétique des matériaux que je me propose d’étudier à l’occasion de cette journée, afin de montrer l’apport de son œuvre, et de sa sculpture en particulier, dans l’histoire de la création artistique de la seconde moitié du XXe siècle.

 

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Avril 3, 2025