Ceija Stojka

Berlin Biennale for Contemporary Art : Floral
En guise d’ouverture de l’exposition, une ligne d’études florales réunit huit œuvres provenant de différentes régions et contextes, formant un jardin. Ce jardin se déploie en ligne, mais il se meut dans toutes les directions — à l’image de la vie végétale — pour chuchoter des récits très divers.
 
Cette section s’interroge sur le nombre impressionnant d’artistes contemporains, aux médiums variés, qui se consacrent à l’étude des fleurs comme une pratique parallèle : une activité humble, presque confidentielle. Lors des recherches, il a été difficile de saisir une signification précise à ces œuvres. Beaucoup de ces travaux floraux ont été créés en exil ou dans la clandestinité. Ils portent la mémoire du traumatisme — de paysages marqués par les déplacements et l’extraction historique des forces vitales.
 
Les études florales comportent une part de silence, une apparente passivité. Activité sans controverse, le fait de dessiner, peindre ou photographier des fleurs témoigne néanmoins d’une persistance — celle de continuer à créer, même dans des états mentaux ou des circonstances difficiles. Parfois, cette pratique perdure en elle-même comme une forme de résistance ; d’autres fois, elle permet de faire passer des messages dissimulés.
 
Cette section s’inspire de l’artiste et poète Nyi Pu Lay, mort en clandestinité. Durant sa retraite, il réalisa des études de fleurs. Encore aujourd’hui, il serait trop risqué de récupérer ses peintures, de peur qu’elles ne révèlent l’emplacement de l’ensemble de son œuvre. Ses œuvres ne sont pas exposées, mais la fleur absente peut néanmoins être portée par l’imaginaire du spectateur grâce à une longue étiquette descriptive rédigée par son amie, l’autrice Ma Thida.
 
La fleur de Fredj Moussa appartient à un geste récurrent de dessin et de peinture. Certaines sont annotées d’inscriptions, comme le mot warda, qui signifie à la fois « rose » en arabe et désigne une marque de pâtes ; ou de dates dont il ne reste parfois qu’un chiffre, marquant la banalité quotidienne du geste. Pourtant, ces fleurs sont imaginaires. C’est une pratique d’atelier qui explore l’absurdité de dessiner des fleurs fictives de contrées imaginaires.
 
Grenade, un pays insulaire des Caraïbes, fut colonisé par les Européens. Les colons français ont exterminé la population autochtone, les Caraïbes, avant d’importer des esclaves d’Afrique pour transformer l’île en plantations. En 2024, Steve McQueen a photographié les fleurs qui ont survécu à travers les nombreux bouleversements de l’île. Sa représentation des fleurs de Grenade — belles, énigmatiques, puissantes — et le titre dissonant et inquiétant de la série ajoutent à la tension entre beauté et brutalité sur laquelle repose cette partie de l’exposition.
 
Reconnue pour ses marionnettes et ses photomontages ironiques et politiquement incisifs, Hannah Höch faisait partie de la tempête Dada berlinoise, un mouvement artistique pacifiste, anti-guerre et anti-bourgeois, né durant la Première Guerre mondiale. Bisexuelle, ex-communiste, ex-membre de Dada, mise sur liste noire et pauvre, Höch s’exila en 1939 dans une ancienne maison de garde forestière à Tegel, en périphérie de Berlin, où elle installa une caravane. Elle enterra ses photomontages, objets et œuvres d’autres artistes dadaïstes dans le jardin. Bien que les photomontages soient restés cachés, elle aménagea le jardin lui-même — toujours existant aujourd’hui — comme un collage de légumes, de fleurs, et, selon la rumeur, de plantes interdites par le régime nazi.
 
L’étude florale d’Erika Kobayashi murmure l’histoire d’une troupe de théâtre de jeunes filles japonaises, contraintes de fabriquer des ballons en papier destinés à transporter des bombes vers les États-Unis, portées par les courants de vent hivernal. En 1938, le groupe fit une tournée dans l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, vêtu de kimonos de soie ornés de motifs de fleurs de cerisier. La fleur de cerisier représente un symbole ambigu du pouvoir impérial japonais et de ses rêves expansionnistes des années 1930. Parallèlement, Kobayashi souligne la résilience de cette fleur face à l’annihilation nucléaire, au-delà du simple symbole.
Probablement l’artiste rom la plus célèbre, Ceija Stojka peignait des scènes issues de ses souvenirs d’internement dans les camps de concentration d’Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen. Dans cette œuvre de 2011 d’une retenue absolue, la peur se manifeste à travers un cadrage particulier, centré sur les pavés en spirale. La présence de bottes militaires dans le coin supérieur droit suscite l’inquiétude, tandis que de petites fleurs jaunes percent entre les pierres.
 
Le jardin-refuge de l’artiste OMARA Mara Oláh est une composition de plates-bandes de coquelicots et une vue du jardin peinte sur des boîtes de cigarettes. C’est un support qu’elle utilisait souvent, ainsi que de petits morceaux de bois et des cartes de tarot, supports sur lesquels elle créait des œuvres étonnantes, en colère, érotiques, et des scènes de sa vie en tant que membre de la communauté rom de Hongrie, souvent annotées de légendes audacieuses, impertinentes ou humoristiques.
 
Texte : Zasha Colah et Valentina Viviani
 
 
https://13.berlinbiennale.de/en/artists/flowers
9 Juin - 15 Juin, 2025
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