TEA Tenerife Espacio de las Artes accueille jusqu’au 22 février la XVIIIe Biennale Internationale de Photographie Fotonoviembre.
Salles B, C, Vestibule et Le Vidéoclub
Le vertige des images (El vértigo de las imágenes), exposition commissariée par Marta Dahó Masdemont
Artistes : Teresa Arozena, Ismaïl Bahri, Eline Benjaminsen et Dayna Casey, Bleda y Rosa, Patricia Dauder, Erik Estany Tigerström, Max de Esteban, Carla Filipe, Lee Friedlander, Marina Gadonneix, Paul Graham, Guido Guidi, Linarejos Moreno, Man Ray, Joana Moll, Pilar Monsell, Julia Montilla, Silvia Navarro Martín, Mabel Palacín, Joel Peláez Amador, Pérez y Requena, Aleix Plademunt, Lúcia Prancha, Xavier Ribas, Lotty Rosenfeld, Laia Serra Cribillers, Larry Sultan et Mike Mandel, Damián Ucieda, Oriol Vilapuig, Werker Collective et Tobias Zielony.
À une époque qui ne cesse d’annoncer son propre échec et de répéter que nous nous retrouvons sans avenir, sans fondement stable où ancrer une vie sociale ou un écosystème dont nous pourrions faire partie sans le fragiliser, la sensation d’être au bord de l’effondrement est devenue une condition presque structurelle. Cet état d’inquiétude ne traverse pas seulement nos formes de vie, il imprègne aussi la manière dont nous nous rapportons aux images. Quelle place occupent-elles aujourd’hui dans cet ensemble complexe d’expériences ? Quelles possibilités nous offrent-elles pour penser ce qui est en train d’advenir, au-delà de leurs complicités avec les nouveaux systèmes de production ?
Si, ces dernières années, la circulation massive des produits visuels s’est intensifiée à travers des dispositifs qui promeuvent l’uniformisation et la consommation accélérée, ils n’ont pour autant pas perdu leur potentiel critique, leur capacité à poser des questions ou à interrompre ce qui est tenu pour acquis. Malgré les tentatives visant à les réduire à des flux algorithmiques ou à des vecteurs de surveillance, les images résistent à toute clôture dans une fonction représentationnelle ou utilitaire. Elles nous placent, sans aucun doute, devant de nouveaux défis, en particulier dans le domaine de la photographie. La prolifération des images générées par des systèmes computationnels ou par des modèles génératifs d’intelligence artificielle efface toute frontière nette entre le photographique, le numérique et le simulé. Mais si quelque chose a historiquement caractérisé ce médium, c’est sa condition liminaire : il n’a jamais été le résultat d’une technologie unique, mais un champ expansé en constante reformulation. Pour cette raison, plutôt que de nous demander ce qu’est l’image, il est peut-être plus urgent de chercher ce que fait l’image, comment elle agit, comment elle nous implique.
Ce nouveau scénario nous oblige à reconsidérer non seulement nos modes de perception et de compréhension, mais aussi les formes selon lesquelles les images nous interpellent, nous affectent et nous relient au monde. En dialogue avec ces déplacements contemporains, il est pertinent de tourner à nouveau notre regard vers les structures historiques qui ont façonné notre compréhension visuelle. Le récit canonique de l’art et de la photographie a traditionnellement privilégié une logique de lecture et de décodage : l’image comme quelque chose disposé devant l’œil du spectateur pour être interprété. Cependant, au cours des deux dernières décennies, de nombreuses voix issues de la philosophie et des pratiques artistiques s’accordent pour resituer la notion d’image, la libérant de sa réduction à un objet, à une représentation ou à une preuve du visible. Dans cette perspective, les images définiraient un champ d’exploration, un processus de pensée sensible de nature relationnelle dont la force sismique déborde toute délimitation trop restrictive.
Prendre en compte le vertige des images, comme le propose cette exposition, ne passe pas par le tracé d’un parcours thématique. Au contraire, les projets qui l’articulent activent d’autres manières de regarder, d’imaginer et d’être avec les images afin, depuis cet endroit, de réviser de manière critique l’expérience qui constitue notre relation avec elles, sans occulter les complexités qui marquent leur condition actuelle. L’invitation est donc d’explorer comment les images configurent le visible et le pensable, en reconnaissant leur force à déstabiliser ce qui se présente comme naturel ou inévitable. En ce sens, la proposition curatoriale répond au défi de continuer à penser la photographie et le photographique, mais sans la limitation qu’impliquerait de se circonscrire à une modalité spécifique ou de se centrer exclusivement sur sa dimension technique la plus récente. Partant du caractère liant qui caractérise les images, et dans le prolongement des réflexions développées par la philosophe Andrea Soto Calderón[1], l’exposition s’organise autour d’un ensemble de travaux qui, depuis diverses approches et zones d’intérêt, contribuent à déplacer la notion d’image d’une dimension objectuelle à une autre, expérientielle et performative. Comme le souligne Soto Calderón, nous ne voyons pas les images comme nous voyons les objets, mais à travers elles. Pourtant, l’importance capitale de ce déplacement n’a pas encore été suffisamment mise en lumière.
Dans ce cadre, le vertige qui donne son titre à l’exposition ne renvoie pas uniquement à une sensation subjective, mais à une condition structurelle : celle d’une culture visuelle soumise à des vitesses intenables, à une production d’images pensée pour des machines plutôt que pour des corps, dont l’implantation exponentielle et la sophistication croissante réduisent l’agency susceptible d’être exercée sur leur usage. Affronter ce vertige implique à son tour de prendre position ; non seulement face à son déclin, mais aussi dans sa contingence. S’il est prioritaire d’aborder cette question, c’est parce qu’elle signale le point précis où se met en jeu l’élan pour continuer à imaginer, pour générer de nouvelles possibilités là où elles sont niées. Au-delà de leur diversité, chacun des projets réunis ici met en mouvement la puissance formative des images. Ils le font à travers des gestes qui instituent une liberté arrachée, des réassemblages qui altèrent le flux habituel des images, ou par des scènes qui favorisent l’accueil de ce qui n’a pas été pris en compte, se déplaçant vers les bords du visible, là où l’imagination peut se déployer avec plus de liberté.
Si ces perspectives défendent la capacité des images à ouvrir des espaces d’attention sensible inattendus, la proposition curatoriale insiste également sur certaines arêtes qui sous-tendent les systèmes de leur production. En ce qui concerne les pratiques photographiques ou audiovisuelles, il ne peut être ignoré que, par leurs caractéristiques techniques, ainsi que par ce qu’implique la circulation et le stockage des données, elles participent à des formes d’exploitation des ressources et à des extractivismes dont l’impact écosocial est de plus en plus grave. À cet égard, Le vertige des images problématise des situations d’interdépendance critique. Il s’agit non seulement de rappeler que les médias numériques possèdent leurs propres matérialités, mais aussi que leurs infrastructures imposent des conditions de vie. Les symptômes du vertige, multiples et divers, constituent l’alerte qui dirige notre attention vers ce qui advient dans le vortex des images.
[1] Andrea Soto Calderón, La performativité des images (Metales pesados, 2020) ; Imaginación material (Metales pesados, 2022) ; Imágenes que resisten. La genealogía como método crítico (La Virreina. Centre de la Imatge / Ajuntament de Barcelona, 2023) ; Indisciplinas de la mirada (Kikuyo Editorial, 2025).
