C’est avec beaucoup d’émotion que la Galerie Christophe Gaillard annonce à la fois la découverte et l’exposition d’un exceptionnel ensemble de 84 oeuvres de Ceija Stojka.

Précieusement conservés par la famille, ces 84 peintures et dessins ont été réalisés par l’artiste au dos des cartes postales reproduisant ses propres oeuvres que musées ou éditeurs contribuèrent à diffuser. Témoignage poignant de l’atrocité du samudaripen (terme retraçant le génocide qui vit disparaître près de la moitié de la communauté tzigane d’Europe) et de la propre déportation que vécut Ceija Stojka avec toute sa famille, c’est un ensemble remarquable que nous livre l’artiste sur les deux années passées dans l’enfer concentrationnaire d’Auschwitz, Ravensbruck et Bergen Belsen mais aussi sur la vie nomade qui était la sienne avant les camps et sur le retour à la vie civile. Ainsi, les quelques paysages bariolés de Styrie dans lesquels sont installées les roulottes cèdent vite la place à la description crue et en noir et blanc des atrocités nazies, avant que ne reviennent les grands champs saturés de coquelicots et de tournesols battus par la force vive du vent.

Profondément émouvantes, la découverte de ces nouvelles oeuvres nous renseigne aussi sur les conditions de production d’une oeuvre quand on est femme et Rom, la pauvreté des moyens à disposition s’ajoutant à un interdit : celui de témoigner hors de la communauté. La tentation est alors grande d’évoquer A Room of One’s Own (Une chambre à soi) de Virginia Woolf, tant la cuisine qui délimitait l’existence de Ceija était aussi son espace de travail. Comme un écho pregnant à l’oeuvre de l’autrice britannique.

«Ceija Stojka est une narratrice extraordinaire. Elle a grandi avec les contes de sa grand-mère et se trouve profondément enracinée dans l’art du récit séculaire des Roms. On le sent quand elle se souvient : ce qu’elle raconte est souvent atroce, la manière dont elle le raconte, merveilleuse». Karin Berger, celle qui a permis à Ceija de témoigner (par la parole d’abord puis au travers du dessin), l’avait parfaitement compris.

Puisse cet ensemble que nous présentons rencontrer chez chacun de ceux qui le verra tout à la fois la formidable lucidité de l’artiste mais aussi sa force de résilience qui lui permit de continuer à vivre.
 
 
Ceija Stojka est née en Autriche en 1933, cinquième d’une fratrie de six enfants dans une famille rom de marchands de chevaux. Déportée à l’âge de dix ans avec sa mère Sidonie et d’autres membres de sa famille, elle survit à trois camps de concentration Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen. Quarante-cinq ans plus tard, en 1988, à l’âge de cinquante-cinq ans qu’elle ressent le besoin et la nécessité d’en parler. Elle se lance dans un fantastique travail de mémoire et, bien que considérée comme analphabète, écrit plusieurs ouvrages poignants dans un style poétique et très personnel qui font d’elle la première femme rom rescapée des camps de la mort à témoigner de son expérience concentrationnaire contre l’oubli et le déni, contre le racisme ambiant. Son témoignage ne s’arrête pas aux textes qu’elle publie (4 livres au total entre 1988 et 2005) et qui, très vite, lui attribuent un rôle de militante activiste pro-rom dans la société autrichienne. À partir des années 1990, elle se met à peindre et à dessiner alors qu’elle est dans ce domaine également totalement autodidacte. Elle s’y consacre dès lors corps et âme jusqu’à peu de temps avant sa disparition en 2013. Son oeuvre peinte ou dessinée, réalisée en une vingtaine d’années sur papier, sur carton fin ou sur toile, compte environ un millier de pièces.

Elle a été présentée en Allemagne, en Autriche, aux États-Unis, en France à la Friche Belle de mai (Marseille) et à la Maison rouge (Paris) en 2018, en Espagne à la Reina Sofia (Madrid) en 2019 et aux États-Unis, au forum culturel autrichien de New York en 2023.

En 2026, elle sera présentée au Drawing center de New York. Ses oeuvres comptent parmi les plus grandes collections : au Musée Reina Sofía (Madrid, ES), à la Pinault collection (Paris, FR), au Wien Museum (Vienne, AT), à la Erste Collection (Vienne, AT), au Moderna Museet (Stockholm, SE), au Memorial Site CC (Ravensbrück,DE), au MUCEM (Marseille, FR) et à la Collection Antoine de Galbert (Paris, FR).