Peu avant le confinement, j’ai envoyé à Christophe Gaillard quelques photographies de portraits peints représentant Fantômas et nous avons rapidement convenu d’organiser une exposition dans sa Galerie. Ces portraits sont particuliers. Chaque année, depuis presque dix ans, je m’autorise à peindre ce personnage, moi qui n’en peins quasiment jamais…
Il s’agit du visage de Fantômas tel qu’il est représenté dans le film d’André Hunebelle, avec Louis de Funès et Jean Marais. Enfant, ce visage m’a terrifié lorsque je l’ai vu la première fois mais, depuis, je suis persuadé que la plasticité et la couleur de ce masque évoquent intuitivement chez moi des questions purement picturales.
Aussi je peins chaque année ce visage, faisant en quelque sorte une peinture de peinture. Le Capitaine Achab s’endort tous les soirs avec l’obsession blanche de son cachalot, moi je me réveille sidéré par la peau bleue du masque de Marais. Chacun ses fantômes.
Cette peau, cette texture et cette couleur sont une mise en abîme de la peinture, de sa surface profonde.
Apollinaire et Max Jacob voyaient dans ce personnage de roman né en 1913 un anarchiste libertaire, un nouveau mythe de l’homme moderne, Desnos et Queneau lui ont consacré des articles et des poèmes, les surréalistes se revendiquaient « fantomassiens », Magritte ou encore Eduardo Arroyo l’ont représenté dans leurs tableaux, Mike Patton a utilisé le nom de « Fantômas » pour son groupe de rock expérimental… Bien évidemment je n’ai su tout cela qu’après. Comme dans les romans d’Henri James ou d’Edith Wharton, les ombres avancent à reculons.
Les fantômes peuplent la peinture comme la peinture habite l’Histoire, en traversant les murs. Dans un sens il faut croire aux fantômes pour croire en la peinture. Le fantôme, c’est l’ubiquité incarnée (la devise de Fantômas est « je suis partout »), c’est aussi l’identité plurielle et changeante, c’est la personne rêvée qui regarde le rêveur assoupi, le fantôme c’est l’image perpendiculaire.