Ce titre aux allures de boutade recèle, à dire vrai, bien plus de vérités que celui initialement choisi et tiré du poème éponyme de son fidèle ami Henri Michaux, Je vous écris d’un pays lointain. En effet, Pierre Bettencourt ne fait-il pas figure auprès de nombre d’artistes, collectionneurs, institutionnels, de « grand méchant loup » … ?
Tout d’abord ces « hauts reliefs » tels que les appelle l’artiste, faits de matériaux composites (ardoises, pierre, café, coquilles d’œufs, pommes de pin...) qu’on regarde pour se faire peur, parce qu’on aime à se faire peur, jouent le rôle de ces contes pour enfants dont Bruno Bettelheim, dans Psychanalyse des contes de fées, nous a suffisamment appris comment ils servent à dissimuler, à masquer et à transposer, peut-être même à matérialiser nos cauchemars, nos angoisses.
Ainsi Pierre Bettencourt, cet artiste qui déclenche immédiatement fascination ou répulsion chez ceux qui découvrent son œuvre pour la première fois, nous entraîne vers des contrées inconnues - ou plutôt oubliées - là où semble se jouer au travers les grands mythes ou rites de civilisations perdues, la conjuration des dieux ou du Cosmos à moins qu’il ne s’agisse de remonter à la source d’un Grand Mystère. C’est sans doute ce qui fait dire à Julien Alvard parlant des œuvres de Bettencourt qu’elles sont le témoin de « l’inquiétude métaphysique qui s’empare tous les millénaires des états et des peuples sous forme de songe. » Il s’agit ainsi de briser la glace de « ce lac dur oublié que hante sous le givre / Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! »
Mais nulle question ici d’interdit, d’érotisme et encore moins de la transgression des interdits ancestraux et capitaux dictés par la pudeur ou par la morale. Nous sommes face au sacrifice, aux rituels anthropophagiques, aux grandes cérémonies sacrificielles ou sexuelles porteuses toutes d’une dimension chamanique ou d’une volonté cosmogonique. Nous sommes face à un Secret.
On serait en peine de découvrir le sens caché de ces hauts-reliefs semblables dans leur essence aux œuvres de Brauner dont ce dernier disait qu’elles se grandissent par le secret qu’elles enferment.
Et si Bettencourt se colore alors d’accent sadien, c’est bien parce que lui aussi, comme son prédécesseur, considère que « tout le bonheur de l’homme est dans son imagination ».
Pour conclure, ces quelques lignes écrites par Henri Michaux à l’occasion de la première exposition de l’artiste à la Galerie René Drouin en 1956 :
Ceux qui aiment le pain parfaitement blanc, qu’ils n’entrent pas ici : Peinture impure. Chargée, obsédée, possédée.
Peinture pour que succubes et fantômes se substantialisent et restent. Ici s’établissent les monstres patients, inflexibles, à la pensée unique, attendant d’être satisfaits, le juge dur aux traits de pierre, le témoin froid comme le meurtre, le double impassible, qui à travers les actes et les événements de la vie regarde uniquement le destin, qui s’accomplit sans un pli.
Et l’on perçoit un extraordinaire silence, pas entendu depuis longtemps.
Pierre Bettencourt (1917-2006) était écrivain, poète, éditeur, typographe, voyageur et peintre français. Il édite ses premiers textes sur sa propre presse à bras et publie ceux d’Antonin Artaud, de Francis Ponge, de Henri Michaux et de Jean Dubuffet.
En 1953, après un séjour à Saint-Michel-de-Chaillol avec Dubuffet, Bettencourt compose ses premiers hauts-reliefs où interviennent divers matériaux : fragments d'ardoise, grains de café, toiles de jute ou des coquilles d'œuf…
Exposée par René Drouin, son œuvre est ensuite collectionnée et ardemment défendue par Daniel Cordier.
L’œuvre de Pierre Bettencourt est présente dans les collections du Centre Pompidou, du Musée des Abattoirs à Toulouse, du Centre National des Arts Plastiques, du Musée d’Art Contemporain au Grand Hornu…