Surface(s) / Prise(s) ou : La Fabrique de l'oeuvre
À la fin des années 60, après les expériences de BMPT et en réaction aux nouveaux réalistes qui prenaient comme matériau les rebuts de la société de consommation, les membres de Support/Surfaces ont voulu revenir à ce que Roland Barthes aurait pu définir comme un degré zéro de la peinture. Déconstruire la peinture et la sculpture impliquait dès lors - en écho à la pensée post-structuraliste - de mettre à jour ce que sous-tendait la fabrication d'une oeuvre : son châssis, sa toile, son cadre. Cette dénonciation prend notamment trois formes :
- Le refus du tableau comme « fenêtre » (Alberti) et de la surface comme support illusionniste : la forme elle-même n’est pas image et ne doit pas faire image.
- Le refus du tableau comme surface de projection de la subjectivité de l’artiste : travailler le support directement pour qu’en résulte une « image » qui n’ait pas été initialement prévue et qui ne puisse en aucun cas être liée à la puissance mystérieuse de l’acte créateur. Toute visée d’un quelque chose ou toute projection d’une image subjective en contredit la fonction première.
- Le refus de toute peinture antérieure qui masquerait le support : le processus artistique est l’enregistrement, la prise ou l’apposition répétée et son interaction avec les supports.
En écho à cette triple exigence, apparaissent depuis quelques années aux États-Unis mais aussi en Europe, de nouveaux travaux, lesquels s'ils empruntent parfois au Land Art renouent avec certains fondements de Supports/Surfaces (sans en conserver toutefois la charge politique). Comme Supports/Surfaces œuvrait à déconstruire la peinture en mettant à nu les instruments constitutifs de sa fabrication, Oscar Murilo, Sam Falls, ou encore Ryan Foerster fabriquent des œuvres qui sont les témoins d'un flux, d'un échange (climatique, marchand, social).
L’un des schèmes principaux qui résume leur démarche artistique est celui de l'abandon du geste créatif et de sa dimension « auratique », au profit d’un process (dont les forces de la nature et du temps sont parties prenantes) qui met à nu les matériaux constituants tels la toile, le papier, les pigments. Sans cesse réaffirmées depuis qu’elles ont été posées au milieu des années soixante, les trois exigences précédemment énoncées président à une utilisation particulière de la forme : l’oeuvre devient alors empreinte. (Sam Falls, Christian Jaccard). Chez nombre de ces artistes, le motif (pattern), est le moyen d'une innocence reconquise (il est intéressant de noter qu'il a existé aux Etats-Unis un courant appelé "Pattern Painting" dans les années 1970-1980). L’œuvre de Claude Viallat est emblématique à maints égards des liens à la fois formels et conceptuels qui relient son travail à celui des artistes présents dans cette exposition (Sam Falls, Hannah Whitaker).
Par ailleurs, l’utilisation de motifs, leur répétition et les aplats de couleurs participent à une impression globale de planéité qui va à l’encontre de la perspective puisqu’elle ramène l’ensemble de la composition à un plan unique. Chez Astrid Svangren, tout comme Patrick Saytour le filet, le grillage, s’est substitué au quadrillage de l’espace peint en perspective. « Par pleins, par vides, il organise l’espace sans le contraindre par une rigidité mentale. Et de la même manière que la perspective, par un effet illusionniste, répartit les plans, proches ou lointains, le filet joue de ce qui est devant/derrière, de la profondeur et de la peau, de l’espace clos ou infiniment ouvert ; et selon son tressage, nœuds ou vides en dessinent les modulations de forme. Enfin, les échanges de tension, par les différents fragments de tissus cousus, par les relations toiles/murs, par la manière dont les toiles « tombent » ou sont retenues, sont un élément clef du dispositif pictural auquel la scansion des formes participe en donnant un même rythme à l’ensemble parfois disparate des supports par l’utilisation des couleurs comme un élément de cette tension » (Formes et Figures, Pierre Manuel).
C'est à l'aune de ces deux idées directrices que la galerie Christophe Gaillard présentera les œuvres de : Noël DOLLA, Sam FALLS, Ryan FOERSTER, Christian JACCARD, Fabian KNECHT, Guillaume LEBELLE, Oscar MURILLO, Bernard PAGÈS, Patrick SAYTOUR, Astrid SVANGREN, Claude VIALLAT, Hannah WHITAKER.
Notes on Supports/Surfaces :
Ce mouvement, qui signifie d’un côté le châssis (le support de la toile) et de l’autre la toile (la surface), apparaît en France en 1969 lors d’une exposition au musée du Havre « La peinture en question ». Pour ces artistes, la peinture ne doit plus révéler un message, mais exister en tant que telle, c’est-à-dire la toile, le pigment et la forme. Claude Viallat résume ainsi leurs travaux : « Dezeuze peignait des châssis sans toile, moi je peignais des toiles sans châssis et Saytour l’image du châssis sur la toile. ». Supports/Surfaces met un point d’honneur à accorder une importance égale aux matériaux, aux gestes créatifs et à l’œuvre finale de telle manière que le sujet passe au second plan. Il remet en question les moyens picturaux et les supports : Buraglio récupère des morceaux de toile et des éléments de fenêtre qu’il assemble. Dezeuze dissocie la toile du châssis. Viallat emploie des matériaux de récupération, toiles de bâche, parasols...