Après l’exposition Nuits électriques, les collections du MuMa reprennent leurs aises dans les salles du MuMa et se déploient librement, jusque dans les espaces habituellement consacrés aux expositions temporaires. Voyages d’hiver propose de découvrir quatre nouvelles œuvres entrées cette année grâce à la générosité de donateurs et d’en redécouvrir d’autres, connues ou moins connues, dans un parcours qui se joue de la chronologie ou des techniques utilisées, pour laisser libre cours à la sensibilité, à la poésie et au dialogue entre les œuvres. Une balade en collections comme une invitation au voyage… cet hiver.
La première partie du nouvel accrochage s’articule autour de l’arrivée d'une œuvre de jeunesse de Raoul Dufy, qui rejoint plusieurs toiles acquises ces dix dernières années et qui apporte un éclairage passionnant sur le parcours artistique du jeune peintre avant son adhésion au fauvisme.
Formés à l’école municipale des beaux-arts du Havre, sous la direction de Charles Lhullier, avant de poursuivre leur apprentissage à Paris, bourse de la Ville du Havre en poche, Raoul Dufy et son ami Emile-Othon Friesz connaissent une trajectoire similaire. Sous l’influence des impressionnistes qu’ils côtoient à l’occasion, malgré la différence de générations (Friesz va retrouver Armand Guillaumin dans la Creuse en 1901, et Camille Pissarro est au Havre en 1903 !), ils s’attachent d’abord à restituer les modulations de la lumière dans des œuvres claires où la touche en virgule chère à Monet est utilisée pour faire vibrer la surface de la toile. Ils empruntent volontiers à leurs aînés sujets et paysages et affichent un intérêt marqué pour la vie moderne. Les toutes premières années du XXe siècle sont celles des rencontres (Matisse, Marquet…), des expérimentations.
En 1901, Dufy commence à exposer à Paris. Fin de journée au Havre présentée au MuMa à côté de son esquisse préparatoire, révèle une attirance (sans lendemain) pour des sujets à caractère social, traités dans une veine plus réaliste. Mais très vite, les deux jeunes artistes font entrer la couleur dans leurs toiles, d’abord prudemment comme dans Le Clocher l’église d’Harfleur (1901), puis plus franchement (Friesz, Le Havre, bassin du Roy. Dufy, Le Yacht pavoisé au Havre). L’été 1906 signe leur ralliement au fauvisme. Marquet rejoint Dufy au Havre et les deux amis peignent côte à côte dans une ville pavoisée à l’occasion de la fête nationale (Marquet, Le Havre, Le bassin). Friesz, quant à lui, part peindre en compagnie de Georges Braque à Anvers (Bassin des yachts à Sainte-Anne, Anvers). Tous présenteront leurs toiles de l’été au Salon d’Automne 1906, aux côtés de Matisse, Camoin, Derain…
L’aventure fauve est cependant de courte durée. L’exposition hommage à Cézanne, mort l’année précédente, au Salon d’Automne de 1907, agit comme un révélateur. A la faveur de voyages dans le Midi sur les traces du peintre d’Aix, Dufy et Friesz abandonnent progressivement leur palette colorée au profit de tons sourds - bleu, vert, terre de Sienne- (Friesz, Sous-bois). La structure et la composition priment désormais sur la couleur qui tend vers une certaine monochromie. Chez Dufy, la touche se fait constructive. Hachures, touches directionnelles contribuent à donner densité et force aux éléments du paysage (Dufy, Pêcheurs au haveneau au Havre).
On suit donc le cheminement des deux artistes jusqu’à ce point où leurs chemins cessent d’évoluer en parallèle et de se croiser, pour avancer chacun dans une voie qui lui est propre. Ce sera pour Dufy sa « période bleue » qui commence dans les années 1920. La « lumière-couleur » du ciel et de la mer, celle du Havre ou de la mer Méditerranée, envahit alors ses œuvres. Des fenêtres d’un atelier de « campagne » situé boulevard Albert 1er, ou à Sainte-Adresse, Dufy peint le spectacle sans cesse renouvelé qui s’offre à lui : les promeneurs le long de la plage, les fêtes nautiques, les bains de mer… (Sainte-Adresse, en dépôt au MuMa).
L’arrivée d’une nouvelle œuvre d’Albert Marquet dans les collections du MuMa, qui ne comptait déjà pas moins de 13 peintures, 23 dessins et une gravure, a servi, quant à elle, de point de départ à la seconde partie de l’accrochage.
Cette toile peinte en 1919, Automne – Herblay. Le remorqueur, illustre un thème cher à l’artiste : la Seine, « son fleuve » par excellence.
En harmonie avec ses tonalités douces et sa silencieuse poésie nous avons puisé dans les collections du MuMa des œuvres fragiles (peu exposées pour cette raison) ou peu montrées. L’accrochage se déploie autour de plusieurs thématiques, en associant librement des œuvres d’artistes du XVIIIe au XXIe siècle.
Le reflet (le paysage en miroir), avec Véronique Ellena, Johan Barthold Jongkind, André Dauchez, Marc Devade.
Les nuages, avec (bien sûr) Eugène Boudin, mais aussi Henri-Edmond Cross, Jean-Francis Auburtin, Jacqueline Salmon, Jocelyne Alloucherie…
Les ruines. Support à la méditation sur le temps qui passe (Hubert Robert) ou signe parmi d’autres dans une ville qui ne cesse de se transformer, comme un organe vivant (Stéphane Couturier).
Paysages silencieux avec Zoran Mušič, René Ménard, Auguste Pointelin.
Plein cadre ou l’espace saturé. Les traits du crayon noir, du burin, de la plume ondulent, s’enroulent, se déploient jusqu’au vertige dans l’espace de la feuille, avec Henri-Georges Adam, Jean-Emile Laboureur, Raoul Dufy, Jean-Luc Parant…
Figures acrobatiques – figures drolatiques. Au son de l’orgue de Barbarie (Dufy) ou de l’accordéon (Fernand Léger), sourire des acrobaties, des visages ronds comme des assiettes (Picasso), ou plus gravement s’interroger avec Gustave Miklos sur la figure de L’Homme et son destin.
On retrouvera, un peu à part dans cet accrochage, un tout petit tableau d’Auguste Renoir, Tête d’enfant et pomme, donné cet automne au MuMa. Ce fragment découpé dans une toile recouverte d’études peintes par l’artiste, vient rejoindre d’autres œuvres au destin similaire : Portrait de jeune fille lisant et Femme vue de dos de Renoir, Etude de deux têtes de femmes dite aussi Blanchisseuses souffrant des dents de Degas, Vuillard, Enfants lisant, ou encore Manet, Bateaux au soleil couchant. Le fragment, voulu et exécuté par l’artiste ou fait à son insu, garde à jamais une part de mystère. Mais en associant le visage rond d’une fillette à une pomme, Renoir nous dit toute la tendresse que lui inspire le monde de l’enfance.