Ces vingt-cinq dernières années, les télescopages entre construction réelle et construction photographique de Stéphane Couturier ont joué un rôle important dans le décloisonnement de la photographie et des arts plastiques.

D’un sujet de prédilection à l’autre (la ville historique, les chantiers, les barres d’immeubles ou encore les usines), d’un panneau de polyptyque à son pendant, d’un film structuraliste à ses immenses lais photographiques, imprimés et collés à même les murs de l’espace d’exposition, Couturier déploie un arsenal de stratégies visant à récuser cette croyance commune,devenue doctrine, qui voudrait que l’image soit transparente, qu’elle ne soit que le pur véhicule de l’information visuelle.

S’il est infiltré par le réel de toutes parts, l’univers photographique de Stéphane Couturier est moins un miroir qu’un tissage ou, pour être plus précis, un entrelacs d’écrans ajourés. De ces sites qu’il découvre et arpente inlassablement de par le monde, l’artiste s’emploie avant tout à isoler l’ossature invisible. À moins, au contraire, qu’il ne parvienne à y superposer une structure exogène mais apparente, permettant ainsi de voir la photographie - mais aussi toute représentation imagée telle que la peinture hyper réaliste peut en produire - comme une surface plaquée sur le réel : un camouflage. Enjouant sur ce puissant effet de réel, renforcé par la précision chirurgicale et la multiplicité considérable des détails, l’œuvre donne à l’observateur, un instant, l’impression d’être confronté à une ponction crédible du réel sensible, un fragment authentique, tel qu’il est appréhendé, à l’œil nu, lors de la découverte d’un site. C’est en toute logique à ce moment de reconnaissance relative et superficielle que survient le hiatus, la faille dans le système bel et bien virtuel de la photographie.
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Extrait de "Deconstruction site", un texte de Matthieu Poirier, septembre 2016.