Entretien avec Julien Des Monstiers

Andrés Goldberg, Art Critique, Septembre 24, 2022
PERSONNALITÉS  -   Artistes

Diplômé des Beaux-Arts de Paris, Julien Des Monstiers est un peintre français dont le travail est représenté par la Galerie Christophe Gaillard. Andrés Goldberg l’interroge sur sa dernière exposition.

 

Andrès Goldberg : Dans votre dernière exposition « Bêtaverse » présentée à la galerie Christophe Gaillard, il n’y avait pas de peintures abstraites ; c’est assez rare dans votre pratique, non ?

 

Julien Des Monstiers : En effet, c’est la première fois. Habituellement, j’expose ensemble des tableaux abstraits et figuratifs pour montrer que le sujet n’est pas dans l’image mais dans la façon de la faire. Mes images – figuratives ou abstraites – ne sont jamais peintes directement sur le tableau. Je les peins sur une grande table en plexiglas que je me suis fabriquée. Je peins tous mes motifs sur cette grande table, comme je le ferais sur une toile classique, et ensuite, avec un film plastique qui agit comme un filtre, je récupère l’image que je viens de peindre et qui est encore fraîche. Ensuite, je viens la déposer avec une pression (on est entre la sérigraphie, le monotype, la gravure) à la surface du tableau qui a été préalablement travaillée pour ressembler à une espèce de toile cirée. Pour cela, j’ai monté successivement des couches les unes sur les autres en laissant des sillons intéressants. L’image vient en dernier, par-dessus ces sillons. C’est un système de transfert. Rien n’est peint directement sur le tableau. Dans l’exposition « Bêtaverse » il y avait quand même une sorte d’abstraction parce que les images peintes sont abîmées par quelque chose qui semble presque un tableau à part entière (et c’est souvent le cas).

 

A.G. : Ce travail par couches successives déroute le spectateur : on ne peut pas savoir ce qui vient avant ou après, la figure ou la peinture.

 

J.D.M : Oui, c’est assez juste. Il y a une vraie corrélation entre la façon dont je le fais et ce que je peins. Le spectateur ne sait pas si je choisis un motif ancien que je refais de façon contemporaine ou si je fais réapparaître un motif ancien pour lui redonner une vie ancienne. La façon dont je peins a quelque chose à voir avec cela : on n’arrive pas à savoir quel est le début et quelle est la fin. En réalité, les motifs qui sont peints sont toujours peints en dernier mais je suis obligé de les avoir en tête en premier. Je sais par exemple que sur ce tableau adviendront une licorne de style peinture flamande ancienne et une centrale nucléaire. Il s’agit de l’image de départ mais je ne la peins qu’à la fin. Toutes les couches successives sont montées, les unes après les autres, avant que ces images adviennent. Les images semblent venir du fond du tableau, comme si elles réapparaissaient, un peu abîmées, sous d’autres couches. À aucun moment, je ne viens gratter la figure. Je ne fais jamais cela ; je ne soustrais pas de matière, je ne fais qu’en ajouter. Je monte successivement les couches les unes après les autres pour arriver à cette image, qui, en fin de processus, ressemble à une image érodée par le temps. C’est assez amusant de faire les choses à l’envers et c’est aussi marrant de se dire que l’image de départ est un tableau du XVI° siècle. C’est un très beau tableau de chasse à la licorne. Je ne sais plus d’où il vient mais il est très connu. C’est un très petit tableau et je le fais en très grand. Je ne sais pas pourquoi je le mêle avec cette image de centrale nucléaire qui est moins une image contemporaine qu’une image d’Épinal des années soixante-dix, quatre-vingt. Il s’agit presque d’une image d’Épinal dans une image classique et j’assume complètement ce brouillage. Il n’y a pas de hiérarchie, ni dans la temporalité du processus, ni entre les images choisies (centrale nucléaire ou peinture ancienne). En réalité, ce qui m’intéresse, c’est l’image proposée qui advient à la fin. Ce que je propose tient dans ce que l’on voit. Il s’agit d’une image dont on a l’impression qu’elle est très ancienne et qui semble mêler des imageries différentes séparées par le temps. Ce n’est pas du collage, ce n’est pas non plus symboliste – cela ne m’intéresse pas beaucoup. Il s’agit plutôt de créer une fausse instantanéité (car le processus est très long). Il y a une vraie corrélation entre la façon dont l’image apparaît et la façon dont je pense l’image. Dans mon travail, les temporalités – soit dans le choix des images, soit dans la façon de faire – s’aplatissent en une seule couche. Ce qui arrive avant ou après n’est pas mon souci, on ne peut pas le savoir et ça n’a pas de grand intérêt. Ce qu’il faut savoir c’est que ce n’est pas une image peinte puis arrachée. Il n’y a pas de soustraction : je repeins plus que je n’abîme.

 

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