Hannah WHITAKER: Shadow Detail

11 Novembre - 18 Décembre 2021 Paris / Main space

L’exposition Shadow Detail d’Hannah Whitaker réunit plusieurs œuvres associées: de nouvelles photographies, un grand collage en triptyque, une vidéo et des sculptures luminaires. Tout comme dans la série photographique présentée dans son récent livre Ursula, Hannah Whitaker explore ici le potentiel sensoriel, riche et dépaysant des silhouettes et des motifs. Elle travaille avec le même modèle que pour la série d’Ursula et continue de pousser la forme humaine vers un terrain inconnu : tantôt en enveloppant le corps d’un ruban adhésif ultra réfléchissant, ce qui lui donne un aspect robotique, tantôt en recouvrant le corps de tubes d’aluminium qui évoquent un ersatz d’appareillage médical. En augmentant la taille de l’œuvre à notre échelle, l’artiste nous met face à ce corps, parfois voilé d’ombres formant des motifs, toujours complètement isolé. Pourtant, l’augmentation de la taille des œuvres à l’échelle humaine a pour effet paradoxal d’accroître la distance entre la figure dans son monde solitaire et futuriste et notre réalité quotidienne, beaucoup moins édulcorée.

Cette exploration donne vie à des images qui dévoilent parfois la forme longiligne du modèle sur des fonds lumineux et monochromes, accentuant encore la texture métallisée des accessoires utilisés par Whitaker. Plus encore que dans Ursula, l’artiste, en plongeant le modèle dans l’obscurité, cache les traits de son visage et fait du corps humain un écran de projection pour les effets de lumière et les accessoires réfléchissants qui désorientent notre regard.

Le monde artificiel créé par Hannah Whitaker s’étend jusqu’aux deux natures mortes présentées dans l’exposition, deux tours réalisées avec les mêmes matériaux que les portraits. Ces objets verticaux se tiennent au garde-à-vous comme des sentinelles, pareils à de grands corps souples figés en position de repos momentané. À l’instar des lampes sculpturales dispersées dans la galerie, les objets représentés dans les natures mortes sont composés de fragments disparates qui s’assemblent, même de façon précaire, en une composition unique et équilibrée.

La dynamique entre équilibre et contrôle, geste et mouvement, a également été explorée par l’artiste dans sa première incursion dans la vidéo. En filmant le même modèle dans une séquence composée de brefs épisodes, Hannah Whitaker révèle l’écart entre une pose statique et des gestes intentionnels. L’instant photographique est extrait de sa temporalité figée et permet à l’artiste, par la vidéo, d’amplifier l’image en un jeu d’accessoires en temps réel.

En revanche, dans le collage Tangled, composé de trois panneaux, les positions (non les motifs) des éléments ont été déterminées à l’avance. Les rayures verticales noires et blanches peintes à l’acrylique s’étendent jusqu’aux bords d’une grande forme centrale entrecoupée d’entailles rose vif, couleur qui rappelle celle de la couverture du volume Ursula. À gauche, on peut voir trois silhouettes, dont celle du haut qui tire la langue tel un serpent. En haut à droite, un long bras pointe un doigt accusateur comme pour réprimander la tête qui tire la langue. Une grande forme ressemblant à un nuage, composée de textures et de motifs variés (pois, paysages gris, cellophane arc-en-ciel), flotte telle une bulle de pensée désordonnée au centre de l’image. La succession des silhouettes placées sur les contours de l’œuvre en garde le périmètre comme un petit détachement de troupes – un détail d’ombre (shadow detail, le détail de l’ombre) – chargé de veiller sur les formes chaotiques de l’enchevêtrement central, mais seulement par l’incision de gestes absurdes et vaguement menaçants, des langues tirées, des doigts pointés.


- Eva Díaz


 

 

Née en 1980, Hannah Whitaker vit et travaille à Brooklyn, New York. Elle est diplômée de l’Université de Yale et titulaire d’un master de beaux-arts de l’ICP/Bard College.

Parmi ses expositions, citons celles à M+B, Los Angeles ; à Marinaro, New York; à la Galerie Xippas, Paris ; au Cincinnati Art Museum, Ohio ; à la galerie Nara Roesler, Sao Paolo ; chez Casey Kaplan, New York et chez Cherry and Martin, Los Angeles. Elle a participé aux Rencontres d’Arles, où elle a été nommée pour le Prix Découverte ; à Foam Talent, qui a été présenté à Amsterdam, Paris et Dubaï ; à l’exposition Commercial Break du Public Art Fund, dans différents lieux à New York ; et à New Visions: The Henie Onstad Triennial for Photography and New Media au centre d’art Henie Onstad en Norvège.
 
Ses monographies ont été publiées chez Mörel Books (Londres) et Image Text Ithaca Press (Ithaca, NY). Son travail a été cité dans le New Yorker, Frieze, Modern Painters, le Los Angeles Times, Hotshoe, Libération, Art Review, artpress ou encore IMA.

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Eva Díaz est une historienne et critique d’art qui vit à Rockaway Beach, dans l’État de New York. Elle est professeur associé au département d’histoire de l’art et du design du Pratt Institute de Brooklyn.

Son livre The Experimenters : Chance and Design at Black Mountain College a été publié par l’University of Chicago Press en 2015.

Elle écrit pour des magazines et revues tels que Aperture, The Art Bulletin, Artforum, Art Journal, Art in America, Cabinet, Frieze, Grey Room, Texte zur Kunst, Harvard Design Magazine et October.

Elle a récemment terminé le manuscrit de son nouveau livre After Spaceship Earth, qui analyse l’influence de R. Buckminster Fuller dans l’art contemporain, un projet soutenu par la Graham Foundation et la Warhol Foundation / Creative Capital Art Writers Grant.

Ses articles récents, publiés dans New Left Review, Aperture, e-flux journal, et Texte zur Kunst, traitent des défis que les artistes lancent à un avenir privatisé et hautement surveillé dans l’espace, et de la façon dont la «course» à l’espace et la colonisation peuvent être reformulées comme de puissants moyens de redresser les inégalités économiques, de genre et raciales, ainsi que les injustices écologiques.