Pierre BETTENCOURT: L'envol, sélection de collages d'ailes de papillons

12 Mars - 30 Avril 2022

L’envol, une sélection de collages d’ailes de papillons

La galerie Christophe Gaillard est heureuse d'organiser la première exposition de Pierre BETTENCOURT (1917-2006), en accord avec la succession de l'artiste qui lui en a confié la représentation.  Poète, conteur et fabuliste, mais aussi imprimeur et peintre, Pierre Bettencourt chasse les papillons en compagnie de son ami Jean Dubuffet et réalise ses premiers collages d’ailes de papillons dès 1953. Dubuffet lui écrit alors au sujet de ces  tableaux de papillons: " Les vôtres sont bien meilleurs que les miens, ils mettent en œuvre bien plus que les miens les possibilités spécifiques d'expression des ailes de papillons; ils obéissent à des raisons bien plus concertées et affirmées et sont à tous égards bien plus impressionnants. D'autre part j'ai été dans cette affaire votre émule ...."


Voici comment PB décrit ce lépidoptère, à la fois matériau
 fabuleux et inépuisable source d’inspiration * :

Le papillon fut mon premier maître à peindre, un peintre devenu peinture et qui s'empressait de l'exposer en tous lieux. Exhibition dangereuse, on tuait le maître, on ne retenait que son œuvre. Mon premier maître à penser proche : parent de la feuille, il s'y pose volontiers ton sur ton, masquant ainsi sa différence essentielle : la liberté. Peut-être une des premières libertés motorisées du monde, qui joue du vent mais n'en dépend plus. Traversant déjà les océans dans son couloir aérien. Parfois dépourvu de système digestif - ce père de tous les systèmes -, ne connaissant qu'un vol nuptial éphémère. L'amour, la liberté, ses deux thèmes. Son horaire chargé, avant de finir en poussière, ou d'être happé au vol par un plus vif que lui. Faire vite. Ses chances réparties sur un temps très court, encore qu'incalculable pour lui; disséminées aussi sur tant de têtes, comme une assurance tous risques. Le papillon maître en métamorphoses, de la chenille à la chrysalide. Et d'abord pondeur d'œufs sans nombre. (Une loi à établir entre la quantité d'oeufs et le niveau de conscience : plus le niveau de conscience est élevé, moins l'espèce est pondeuse. Ses risques diminuent.) Racontant à lui tout seul la naissance et la mort et la résurrection et la mort de nouveau. On ne monte aux cieux qu'un moment, mais un moment d'éternité. Le sien, le nôtre, si nous savions, si nous osions. Si notre prière avait des ailes. Le papillon ou la prière incarnée, sans souci d'un Dieu à prier. La lumière faite papillon.
Velu, mais alors nocturne, pour se protéger du froid.

Plus d'espèces de nuit que de jour, mais également ravi par le moindre rayon. Dans les deux cas, des antennes capables de repérer l'émetteur d'un parfum à distance, sur sa longueur d'onde olfactive. Celle de « sa papillonne ». Mais ne sachant donner naissance qu'à lui-même. Répétant inlassablement son sujet, pendant des millénaires. On peint du premier coup la Joconde. Cela suffit. Pas d'amélioration possible, d'insatisfaction possible, tous ces succédanés de la conscience. Définitivement content de lui.

Ne sortant pas de sa béatitude. Ne sachant que la répéter. On n'en finirait plus de chanter les louanges et de souligner les limites de cet artiste-né. Le premier imprimeur de surcroît, tirant sa polychromie à d'infinis exemplaires, toujours en avance sur la censure de la mort, émettant son papier-papillon sans souci de sa réserve-soleil, inépuisable.

Mais plus abstrait que figuratif et déjà signe dans une relation de signes, porteur de bariolages redoutables, son horoscope; des yeux de chouette avant la chouette et dessinant aussi la ligne pure de lèvres parfaitement ourlées, avant l'homme. Toutefois, l'artiste que l'on n'a jamais pris sur le fait, doué de science infuse, peignant son tableau par cœur, les yeux fermés, dans la nuit. Et qui ne se trompe pas d'une touche, ses écailles superposées comme les tuiles d'un toit selon le dessin pré-établi.

L'imagination à l'état pur, mais dépourvu d'imagination. Sorti parfait de sa métamorphose, et ne sachant plus qu'être parfait.

Des accidents parfois, une aile qui se refuse à gonfler. Impossible de prendre son vol, ce premier vol grisant.

De qui aurait toujours volé.

Tout est dit ou presque dans la désignation par Pierre Bettencourt (1917-2006) de son animal totem : l’homme de lettres, du livre et de l’art a publié, et parfois illustré, poèmes, fables, essais, pastiches à partir de 1940, inventant une typographie expressive de 1940 à 1961 et à partir de 1954 une étrange peinture-sculpture. Tout au long de sa vie, en plus de ses œuvres, il publie aussi Antonin Artaud, Francis Ponge, Henri Michaux, Bernard Collin, Jean Dubuffet. En farouche individualiste, il ne fut d’aucun mouvement littéraire ou artistique, et vécut en retrait des circuits artistiques en Normandie puis en Bourgogne.

Les œuvres de Pierre Bettencourt ont été exposées à la Galerie René Drouin, à la Galerie Daniel Cordier puis à la Galerie Beaubourg et enfin celle de Baudouin Lebon à Paris. Elles sont aujourd’hui conservées au Centre Georges Pompidou, au musée de Grenoble et au Centre d'art contemporain de l'abbaye d'Auberive, aux Abattoirs à Toulouse en encore au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.

 

* Pierre Bettencourt extrait de "l'oeuf sauvage", Editions Pleine marge, 1997