La tradition du dégoût, présentée par Vincent Labaume: Michel BLAZY, Véronique BOUDIER, Mimosa ECHARD, Marc FONTENELLE, Nicolas MOMEIN, Gilles TOUYARD, Hannah WHITAKER

2012-09-08

la forme quoi!?

dialogue présentatoire à la tradition du dégoût par vincent labaume.

— …Vous y croyez donc à cette tradition du dégoût ?

— Pas vraiment… L’expression est malheureuse et quasi oxymorique (donc vendeuse) mais, somme toute, amusante à plus d’un titre !… Enfin, surtout, c’est une perception empruntée qui vient de la réception de l’art, d’une construction extérieure, historiquement et socialement déterminée, et non d’un mouvement de la recherche artistique elle-même. En tout cas, elle ne signifie pas, chez les artistes présents ici, un dégoût de la tradition ! Ceux-ci, chacun dans leur partie, s’y réfèrent d’une manière ou d’une autre, voire y défèrent, au sens où ils lui accordent une certaine dignité quant au statut de la forme recherchée.

— La tradition des beaux-arts ?

— Une certaine tradition des beaux-arts qui veut que l’on parte du plus caché, l’os par exemple en anatomie, pour remonter par couches successives aux roulis tubuleux des peaux, échafaudant les plis du vêtement ou du linceul. Cette tradition primitive qu’avait su renouer un Degas ou un Schiele et qui s’est perdue avec leurs blêmes continuateurs modernes à la Bacon. L’os, ce serait ici ce qui est le plus refoulé dans la forme, le déchet informe, la matière mêlée, le limon fangeux du devenir… Ce n’est pas l’image déformée pour atteindre à l’effet de foire ! C’est aussi ce que capte originairement la pratique du dessin qui se retrouve chez nombre de ces artistes.

— C’est la pâte qui attend d’être formée… On retrouve le vieux couple matière/forme que l’Informel et l’Abstraction lyrique ont voulu confondre ?

— De toutes les matières, non pas celle que j’préfère, mais la plus salissante, comme disait Roland Barthes, c’est encore la matière sémantique ! La « matière » n’est jamais là où on la croit, mais elle est surtout matière à croyances ! La matière « noble » et la matière « ignoble », franchement c’est d’une autre époque, aristocratique et révolue ! La matière, aujourd’hui, c’est vous et c’est moi, c’est le grand tout qui nous comprime et nous dépasse de partout. La matière est la forme essentielle de notre époque ! Alors, on la triture, on la sépare, on la contient, on la tend, on la laisse prendre, on la fixe… ou pas. Et cette forme dévie dans une autre forme où quelque chose advient qui est le « transformé » et qui a quelque droit à la reconnaissance formelle dans sa tradition exacte : ce qui n’est appréhendable que par les sens du goût – lequel ne fait qu’un avec celui du dégoût… sa face aventurière en quelque sorte ! Ce qu’il faut de dégoût à encaisser pour apprécier les dividendes du plaisir ! Les enfants ont souvent du mal avec le goût salé au départ, puis ils découvrent l’aigre-doux et enfin les délices de l’amertume…

— Ça ne passe donc pas par un concept ?

— Nous assistons à un certain épuisement des démarches issues du conceptualisme et de l’ « Art as idea as idea », héritée des artistes du processus et de l’agir participatif du regardeur. Les préoccupations de la matière ou de la nature (celle-ci pensée comme une objection de la forme au « forçage » de l’idée ou de l’intention) connaissent un certain regain où se ressourcent des pratiques proches de ce qu’on a appelé l’Art informel (matiériste, abstrait-lyrique, etc.). Une nouvelle exploration de la tradition soumise à l’imprévu des matières et à l’aléa des gestes, produisant une attitude expérimentale ouverte où l’œuvre est comme l’élucidation provisoire d’un mouvement de pensée qui torture la matière jusqu’au sens, celui-ci pouvant être manqué, avorté, maladroit, déconstruit... On pourrait appeler ça de l’Informel catégorique ou une certaine « tradition du dégoût », si l’on veut, qui n’est pas anti conceptuelle, mais anté-conceptuelle et s’aventure dans les formes traditionnelles des Beaux-Arts comme en terre devenue friche, inculte et donc porteuse d’inconnu... de nouvelles réjouissances… Il y a un dynamisme aujourd’hui de la déviance formelle.

— Le concept est devenu statique ?

— Le concept en art, qui n’est qu’une formalisation historique de l’idée plastique, est évidemment indissociable de la forme esthétique qui l’a porté à son point culminant : la forme manifeste. Rappelons que cette « forme manifeste » s’est élaborée dans un creux de la « forme spécifique », élaborée au moment de l’apparition des minimalistes américains. Les néons de Dan Flavin, bien qu’empruntant aux formes extérieures de l’enseigne, s’affirmaient encore dans une autonomie spécifique d’œuvre d’art ; le premier néon de Bruce Nauman s’établissait déjà au niveau d’une concurrence plus que formelle avec le monde hétérogène des vraies enseignes publicitaires. La forme manifeste est née de cette concurrence poussée avec les formes et fonctions du dehors de l’art. Les générations suivantes, issues de ce passage en creux se sont retrouvées coincées dans une surenchère concurrentielle qui donne le monumentalisme citationnel contemporain, où se retrouve un certain confort politique des normes visuelles publiques internationales.

— Et aujourd’hui, vous diriez que c’est une forme quoi !?

— Tout à fait : la forme quoi !? (et il faut, je crois, maintenir à la fois la marque affirmative et interrogative, signifiant une sorte d’incompréhension bravache !) Il s’agit d’une forme qui n’est ni tout à fait séparée, ni tout à fait mimétique ; qui a abdiqué les prétentions à l’autonomie spécifique mais qui ne prend plus les formes manifestes comme normes. D’où, par défaut, en quelque sorte, le recours aux cadres traditionnels des beaux-arts antérieurs à la révolution des années 60.

— Est-ce que ça veut dire qu’on en revient au bibelot ou au tableau conventionnels? Quand ce ne serait pas au « motif », au « sujet », à la « touche »… que sais-je ?

— En un sens, mais ce retour est un faux retour, pas du tout comme ce que croient certains historiens réactionnaires… et c’est un fait que l’art ne suit jamais les historiens et que c’est plutôt l’inverse, heureusement, qui est toujours vérifiable ! Ce prétendu « retour » est le signe d’une reprise formelle en déshérence : la forme est déchirée entre son autonomie perdue et sa solitude sans concurrence dans le monde des répliques marchandes. Elle est une manière d’index de la crise générale de la valeur d’art (ou de son « coefficient » comme disait Duchamp) qui cherche à s’émanciper de son moment « contemporain » et ne se voit pas d’avenir sans une immersion nouvelle dans l’élément du passé ou, plutôt, dans ce que l’art contemporain a prétendu être « dépassé ».

— L’art contemporain serait-il donc lui-même dépassé !?...

— De fait, l’appellation « art contemporain », qui a toujours paru assez peu qualifiante et pléonastique (car, naturellement, l’art a toujours été « contemporain » !), correspondait au départ, dans ses visées les plus conscientes, à l’intention de poser l’art comme une pratique en tension directe et critique avec l’actualité des formes et des fonctions, ainsi que des valeurs et des combats politiques du temps. Malgré leurs immenses différences, Manzoni, Beuys, Warhol, Kosuth, Nauman, Journiac et même Smithson partagent cette visée du contemporain comme réceptacle vivant à leurs propositions esthétiques, cette intention profonde de changer le monde, l’espace, le sens, le regard, le corps et la vie... Mais ce « tout est art » — compte tenu des forces et formes en présence, pourrait-on dire —, en est arrivé, quelques générations plus tard, à la mainmise sur la forme plastique des formes standardisées de la marchandise. Le triomphe aujourd’hui de l’art contemporain signe aussi sa fin en tant qu’âge de tensions formelles.

— Alors donc, ce sont ici des peintures se voulant vraiment des peintures, des photographies se voulant vraiment des photographies et des céramiques se voulant vraiment des céramiques ? Et qui ne chercheraient en rien à « changer » ça ?

— Tout comme elles s’adressent à un regardeur normal pissant normalement dans un urinoir normal ! Toutefois, aucune plénitude là-dedans ! Ces œuvres en veulent au monde entier d’être réduites à ça ! Ce dégoûtant suppôt de formes et de compatibilités marchandes avortées ! Elles eussent bien mieux préféré rester dans l’ambiance disjonctive des formes manifestes !

— Si je comprends bien, la contemporanéité de leurs formes ne tient pas à leur tension critique avec les formes contemporaines extérieures à l’art ?

— Elles sont plutôt « trans-régressives » : elles ne vivent que de transgresser les formes existantes mais leur intention est plus essentielle ou régressive que concurrentielle ; entre l’essentiel et l’urgent (la société, les normes, les combats idéologiques, etc.), ces œuvres ont choisi !… Ainsi, la façon qu’a Michel Blazy de mettre le temps à l’infini dans ses installations réalisées à partir de matériaux et produits les plus divers issus du quotidien (aliments et objets industriels, coton hydrophile et mousses, aluminium ou sacs plastiques, mais aussi plantes et insectes, escargots et souris…) configurés dans des ensembles composites qui tiennent visuellement autant du jardin mutant que du compost domestique où chaque élément participe d’une recomposition continue des formes, produit une durée essentielle à la nature de ses œuvres. Cette durée ne renvoie pas au temps social extérieur, ni même au temps mental de la conscience humaine. Mais elle n’est pas non plus totalement autonome ; si elle trompe ce gâtisme de l’éternité, ce gâchis de la mort esthétique qui ne travaille pas, elle vient quand même buter sur le temps de regard du spectateur, qui doit enfler sa présence à une temporalité quasi-cosmique et tenter d’incarner lui-même cette fameuse « mort au travail » qu’est censé montrer le cinéma d’après Cocteau… C’est ce que Blazy fait, lui, avec une simple Danette, quand il déclare : « On peut acheter une Danette, ou n’importe quel produit pour le consommer, mais on peut aussi tenter de relier le cosmos avec son réfrigérateur si l’on observe ces produits après leur date limite. »

— Cette exposition réunit huit artistes de deux générations différentes, qui ont à peu près vingt ans d’écart. Qu’est-ce qui les rapproche ?

— Bien qu’une exposition collective soit une façon commode de lier un fagot arbitraire qu’on espère visionnaire et que les confrontations générationnelles soient supposées en attiser les braises… question torture cérébrale, un communiqué d’exposition collective, fût-il en pure gélatine de louanges, se pose là. On voudrait benoîtement que les œuvres parlassent d’elles-mêmes… Mais il me semble que la thématique du déchet pourrait tenir lieu de fil d’Arachnè entre eux. Certes, il faut s’entendre sur ce terme de « déchet ». L’étymologie nous renseigne qu’avant d’être un homme ou un objet hors d’usage, ce mot désignait la quantité qui s’est perdue dans la fabrication ou l’emploi d’un produit. Il s’agit en effet ici non pas d’une position de dégoût critique vis-à-vis des standards de la production industrielle qui passerait par une attitude profanatrice de la beauté industrielle ou académique, à la façon d’un Georges Bataille ; ou encore d’un énième avatar pop’ d’un recyclage rédempteur des matières et formes déchues de nos usages courants ; il s’agit bien plutôt d’une volonté de produire un objet, une forme « sans reste », sans « déchet » justement, et qui, bien que l’ensemble paraisse vide de sens (déchu de tout sens) demeure absolument complet dans son genre (ce qui est, si ma mémoire est bonne, la formule de Kafka pour sa fameuse petite bobine errante aux fils embrouillés sur un engrenage étoilé nommée Odradek…) Une chose non pas vouée au déchet mais ayant traversé et assumé la dimension formelle résiduelle et non employée du déchet. Une sorte de sous-matérialisme expérimental radical qui n’est pas sans résonnance avec la vision antique d’Héraclite du « plus beau des arrangements semblable à un tas d’ordures jetées au hasard ».

— Si je ne m’abuse, l’un des artistes de l’exposition justement, Gilles Touyard, peint de rutilants amoncellements d’ordures…

— Après une œuvre remarquable et remarquée et un détour de quelques années dans les arts vivants (la danse), Gilles Touyard réapparaît en  peintre. Cela ressemble à l’ouverture d’une immense décharge esthétique à ciel ouvert. Les traditions du paysage romantique et impressionniste et du « all over » informel, les vieilles problématiques de la « touche » et du « mélange optique » ou encore du geste heuristique produisant son objet, se voient renouées en même temps qu’attaquées à l’acide dissolvant du « renoncement à tout projet » et non sans un écologisme pour le moins compromis dans sa dénonciation... Mais laissons-le s’expliquer, puisqu’il a bien voulu me communiquer un texte de présentation :
« Peindre des déchets, ce n’est pas représenter des déchets mais se projeter dans l’informe et le refoulé, c’est renoncer à tout projet, c’est lâcher prise, renoncer au sublime, tout en œuvrant sur le maillage du  tout comme fin en soi. C’est jeter des coups de pinceaux sur la toile sans autre volonté que la trace ne figure rien, soit totalement infondée, amorphe, non préméditée. Si une forme identifiable advient, elle doit  être aussitôt avortée ; son état juste, correct et magnifique, c’est l’informe, le ratage, la rature, la raclure noyée dans son agglomérat. Le déchet en peinture, c’est une mécanique hallucinée recyclant du non identifié, du geste défaillant. »

— Curieuse cette volonté d’avorter, tout de même ? On est encore dans le nihilisme, non ?

— Avorter, c’est vouloir empêcher que la « vie » soit la finalité de la forme, sa justification. Autre effet de cette avarie de la forme manifeste du moment contemporain et qui peut se résumer à ce slogan ironique fruit d’un détournement potache : « Aujourd’hui, Fluxus, c’est la vie moins chère ! » Car c’est déjà beaucoup que l’œuvre soit un « maillage du tout comme fin en soi », comme le dit bien Touyard ! L’avortement de l’idée est aussi un thème récurrent chez ces artistes. Par exemple, chez Nicolas Momein, jeune diplômé de l’Ecole supérieure d’art et de design de Saint-Etienne et de Genève, et qui a derrière lui une solide expérience d’artisan tapissier, l’idée git en fœtus dans une forme matérielle qui la révulse. Produisant des sortes de « déchets » de design (ou de design déchu), il intente d’emblée à sa production déjà considérable un procès en signification interminable : sont-ce des projets avortés ou des avortements de projets ? Chaque objet semble un produit dérivé d’un manquement programmatique, comme si l’inconscient affecté aux tâches fonctionnelles subalternes s’attachait à mimer les choses courantes comme un embouteillage de vanités. Chacun est le fruit d’un geste simple : mouler, coller, carder, tailler, souder, stratifier, etc., mais chaque geste s’emporte vers son dérapage, sa précision excessive, et au lieu, semble-t-il, de coopter la matière élue à l’idée visée, aboutit à une forme intermédiaire, au design comme flouté et anarchique, avorté. A l’heure où tout est devenu design, Momein en « fakirise » la fonction comme fondement magique à une stature d’œuvre !

— « Fakiriser la fonction » !???...

— La fonction n’est pas abolie (comme le prétendait le vieux readymade) mais son projet est traité comme une cause parmi d’autres de la forme, comme l’accident, la croissance ou le moule, qui sont, avec le « projet » justement, les quatre procédures principales d’engendrement de la forme selon l’aristotélicien Roger Caillois. Un penseur à redécouvrir dans la perspective de cette « forme quoi !? », notamment dans sa tentative d’établir une esthétique généralisée en arrachant le beau à la relation esthétique pour en faire une donnée objective du monde. Les photographies de la jeune américaine Hannah Whitaker pourraient être ainsi décrites comme des explorations à chaque fois uniques d’une capture objective du monde où la relation à l’œil a été arrachée. Son « théâtre de la nature »  obéit à une singulière stratégie du déchet — au sens défini plus haut de « vide de sens et complet dans son genre » — et au-delà de certains de ses sujets se rapportant justement à des déchets de la vie quotidienne. Dans ses images, non seulement on ne sait pas ce qu’on regarde au juste : texture de paroi pariétale, écaillement de peinture, écorce en putréfaction…) ; mais surtout, ce qu’on voit, c’est qu’on ne peut pas voir vraiment, se délecter frontalement de la teneur auratique ou indicielle de ce qui est photographié. La précision n’est pas en cause, ou plutôt elle est une cause au même titre que l’imprécision, le flou, la lumière incidente, la saturation optique, etc.

— Mais c’est toujours au regardeur de faire le tableau, selon le mot de Duchamp ?

— Duchamp pensait surtout à celui qui « finit » le tableau… alors qu’ici le regardeur ne le peut carrément pas ! Il ne peut qu’échouer à finir et doit reculer infiniment devant !

— Mais si l’on recule infiniment, comment peut-on vous « enculer » ? si vous me passez l’expression… Vous voyez ce que je veux dire !

— Très bien ! Même si le coefficient d’enculage ne peut jamais être clairement établi en art ! Mais ce qui se produit dans les images de Whitaker est beaucoup plus intéressant car cela va au-delà d’un pur et simple effet d’abstraction des lumières et des trames. Ses sujets évidés et déchus de toute trame narrative persistent malgré tout et se révèlent d’une présence troublante de figurations concrètes, insidieusement analogiques.

— Le « déchet » couvrirait ainsi de nombreuses turpitudes analogiques ?

— Mimosa Echard, la benjamine de cette exposition, a fait sienne le principe analogique comme instrument principal de sa trans-régression formelle. Elle part d’un vocabulaire de formes archétypales comme le bâton, le cercle, l’arche, la caverne, etc., ainsi que des formes emblématiques actuelles, héros de comics, logos, objets, mode, etc. Par un jeu d’analogies formelles, elle les fait dévier et dériver les unes des autres, jusqu’à obtenir des sortes de bibelots, étranges et dérisoires, qui sont comme des résidus avortés de tout le monde… et habités de tout un monde !

— L’artiste ne peut-il définitivement plus « habiter le monde en poète », comme le disait Hölderlin ?

— Depuis un peu plus de vingt ans, Véronique Boudier maintient le cap d’une œuvre toujours surprenante dans l’économie de ses moyens et d’une constance d’efficacité directe. Partie d’une pratique minimale de la performance corporelle, qualifiée de « gentille prouesse », consistant à matérialiser en images ou sculptures des actes impliquant peu d’adresse (voire une adresse « nulle » !) et réalisables par n’importe qui (comme laisser brûler un gâteau ou toucher son nez avec sa langue), elle en est arrivée à transformer l’expression pathétique d’une sorte d’impuissance créatrice insoluble devant les processus de désagrégation de la vie, en une stupéfiante capacité à révéler le chaos des formes dans une sorte d’état second vertigineux qui n’est pas sans évoquer ce stade « au-delà de la violente ivresse » que Guy Debord décrit dans son Panégyrique et qui délivre « une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps. » A l’image de son film emblématique, Nuit d’un jour (2008), qui montre la consumation totale de l’ordre intérieur devenu décor de sa propre ruine, son château de sable en « réplique toy », moulé en latex et peint en rose, semble fixer le vertige d’un effondrement stabilisé en vestige, évoquant la vision organique d’un magma volcanique de vomi partouzé ! Au-delà de l’écœurement même, un cœur bat encore d’une ampleur maternelle de chair sexuée aspirante !...

— Dans cette exposition, un artiste fait figure d’outsider

— Marc Fontenelle est d’une certaine manière un artiste émergent de cinquante ans ! Depuis le début des années 80, il travaille en quasi solitaire, facteur inactuel de formes tel un autre Facteur Cheval loin des actualités consommables de ses trente dernières années, à une œuvre qu’il est bien malaisé de définir. Elle se tient comme en suspens entre l’apprentissage manuel des matières et la maîtrise alchimique des forces, inspirée de Buckminster Fuller et de Bernard Palissy, dans une recherche intuitive de cette espèce de « forme quoi !? », produisant des sortes d’outils ou de « prototypes » pour des objets d’art à venir, qui réconcilieraient l’humain et l’humus (termes qui proviennent, du reste, de la même racine indo-européenne signifiant la terre), le compost et la grâce, dans une structure de l’idée soutenue par sa seule matière… Des formes concrètes résultantes de ses recherches, on peut dire à la manière de Marx, « qu’il ne suffit pas que la pensée recherche la réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée. » C’est à ce prix que l’idée et la forme se confondront peut-être enfin sans un joint…

Clichy, 22 août 2012