Les sculptures de Dave Hardy procèdent de l’assemblage abstrait de matériaux industriels pour partie réemployés (pains de mousse polyuréthane, plaques de verre, barres métalliques...) et d’objets hétéroclites (stylos, boudins de pâte à modeler, bretzels, noix de coco...). Imbriqués les uns dans les autres, ceux-ci composent des structures autonomes de différentes tailles qui paraissent déroger aux principes élémentaires de l’équilibre et de la gravité, avec l’emphase des formes impossibles. Selon un jeu où les contradictions dictent la règle, ses œuvres offrent leurs aberrations plastiques au prix d’un long travail préalable de la matière, d’un ensemble de gestes visant à faire tenir ensemble des éléments qu’a priori tout oppose, ou presque. Une large part de la manière de faire repose ainsi sur un processus rendu invisible. Engagé dans un corps à corps intense, Dave Hardy imbibe la mousse de ciment ; gorgée de liant, celle-ci est malaxée, manipulée en autant de plis voluptueux dont des exosquelettes de bois sont chargés de conserver la mise en forme, avant d’être retirés. Panneaux de verre et objets sont ensuite pressés et insérés dans la matière pendant sa rigidification, gage de la tenue finale de l’ensemble.


De part leur forte présence matérielle, ses sculptures aux matériaux conjoints, agrégés en d’improbables contorsions, invitent le visiteur à se mesurer à elles, à en détailler les rapports de proportions, mais surtout, et essentiellement, les forces divergentes. Visiblement à la limite de l’équilibre, entre précarité et technicité, transparence et opacité, souplesse et densité, brutalité et fragilité des matériaux, elles mettent en scène de multiples tensions et suscitent un sentiment de menace. La question d’un possible accident, indissociable de leur perception, éveille un sentiment de l’ordre de l’angoisse, la crainte viscérale d’une brisure du verre à venir. Le travail de la matière mousseuse, dont les replis complexes sont semblables à des formes organiques, n’est pas étranger à cette réception empathique, d’autant que certaines silhouettes sculpturales apparaissent vaguement anthropomorphiques, voire totémiques. De là à penser que celles-ci, par la force énigmatique qu’elles dégagent, manifestent l’intuition de leur destruction imminente, il n’y aurait qu’un pas.

La symbolique des matériaux travaillés par Dave Hardy est loin d’être neutralisée par sa recherche formelle. Si les titres de ses œuvres conservent leur part de mystère quant à leur provenance et au sens qu’ils peuvent apporter, la présence récurrente d’objets disparates apporte une familiarité réconfortante et des touches d’humour bienvenues. Car nous ne saurions dissocier le réemploi de certains matériaux industriels, porteurs des histoires de leurs précédents usages, du contexte global d’un monde au bord de la saturation, rejoignant en cela le sentiment d’une défaillance… généralisée.

Marie Chênel


 


Dave Hardy est né en 1969, il vit et travaille à Brooklyn.
Il obtient un MFA à l’Université de Yale en 2004 et un BA à la Brown University en 1992. En 2011, il fut lauréat de la bourse de la New York Foundation for the Arts, il a également été assistant de Peinture et de Sculpture à l’École Skowhegan en 2004.
Ses oeuvres ont récemment été présentées dans des expositions individuelles àThe Barbara Walters Gallery, Sarah Lawrence College, Bronxville (2017), and Skibum Macarthur, Los Angeles(2017), Galerie Jeanroch Dard, Bruxelles (2016),Wentrup Galerie,Berlin (2014); Churner and Churner, NYC (2014); Regina Rex, NYC (2013); et Art in General (2009).Son travail a également été inclus dans des expositions de groupe à Queens Museum, New York (2016), Invisible-Exports, New York (2015); Bortolami Gallery, New York (2014); Jack Hanley Gallery, New York (2013); The Flag Art Foundation (2009), mais aussi au MoMA PS1 and Sculpture Center, New York. Le travail de Dave Hardy a été le sujet d’articles dans des revues telles qu’Artforum, Art in America, le Wall Street Journal, Frieze, Huffington Post, Flash Art, L Magazine et le New York Times.



Membre de l’AICA France, Marie Chênel collabore régulièrement à des revues spécialisées, des monographies d’artistes et des catalogues d’expositions. En 2017, elle est la critique invitée du programme « Les Chantiers – Résidence » développé par le centre d’art contemporain Passerelle (Brest) et Documents d’artistes Bretagne.