La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Correspondance (Charles Baudelaire)
Lucrèce (à la suite d’Épicure) nous enseigna que le monde est monde parce que que les atomes dévient de leur course rectiligne et parallèle. De cette « déclinaison » des atomes, naissent les collusions, les surprises.
2100 ans plus tard, Michel Serres, quant à lui, nous écrit que « La pensée incline. Sans crier gare, en des lieux et des temps incertains, elle change brutalement de direction, parfois de façon infime. »
C’est sous ce double attelage de la déclinaison épicurienne et de l’inclination chère à Michel Serres que j’ai voulu placer cette exposition inaugurale « De Natura Rerum » à La Résidence Le Tremblay.
En effet, comme le traduit si magnifiquement le poème de Baudelaire placé en exergue, c’est en partant d’une connaissance intime et symbolique que nous pouvons aller au cœur des choses, aborder leur vraie nature. Il n’y a pas de science du général mais seule une science du particulier écrira-t-on en paraphrasant Jarry.
On sait grâce à Lucrèce et comme le résume si bien Caroline Regnaut dans L’individu indivisé, qu’une pensée idéologique « se situe toujours à la surface des choses, au niveau de l’organisation, de la structure, des systèmes, des modèles et que seule la pensée symbolique change les choses en agissant sur les racines. La première est une pensée dominatrice, à vocation totalitaire, qui impose aux choses leur forme de l’extérieur, la seconde, parce qu’elle extrait et révèle la forme intérieure des choses, est harmonie. »
Aussi, ce lieu - Le Tremblay - et cette exposition sont-ils donc à prendre comme un instrument poétique susceptible d’arrêter un tant soit peu le temps. Un havre ou peut-être une sorte de jardin clos comme on les concevait à la Renaissance. Un lien ouvert sur le monde perçu comme phénomène et pas seulement comme spectacle. Les oeuvres exposées, la nature, l'architecture, la musique ou les livres sont l’unique priorité de ce projet. Ils trouvent leur place par inclination les uns par rapport aux autres.
Lucrèce utilisa le poème pour nous rendre Épicure. Quant à nous, nous avons choisi ce lieu, sorte de « locus amoenus, lieu agréable où l'on se retrouve entre amis, couchés dans l'herbe tendre » et ce projet pour permettre à chacun d'atteindre cette tranquillité de l’âme, cette ataraxie (« pax animi » aurait écrit Lucrèce) pour goûter au « doux miel de la poésie », et atteindre la volupté.
Ainsi, à la suite de Nietzsche, puissions-nous dire qu'ici-bas il n’y a d’éternité que dans, l’accident, l’instant vécu, les moments partagés.